Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/393

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se mordant les lèvres, tandis que quelques marins qui étaient à peu de distance l’écoutaient d’un air de surprise, je crois que vos vœux ne seront pas exaucés ; mais je vous donne ma parole que si ce fatal moment arrive vous en serez averti, et que nous forcerons vos mains à nous éviter cette tâche déshonorante.

— Et pourquoi pas dès à présent, Édouard Griffith ? demanda le colonel. Voici votre moment d’épreuve ; soumettez-vous à la clémence de la couronne, et abandonnez votre équipage à la merci du roi. En pareil cas, je n’oublierais pas que vous êtes le fils de l’ami intime de mon ami Harry ; croyez-moi, mon nom n’est pas sans crédit auprès des ministres. Et vous, fauteurs égarés et ignorants de la rébellion, mettez bas ces armes inutiles, ou préparez-vous à éprouver la vengeance de ces serviteurs puissants et victorieux de notre prince légitime !

— Retirez-vous, drôles ! retirez-vous ! cria Griffith aux marins qui, les yeux menaçants, s’attroupaient autour du colonel ; si l’un de vous ose s’en approcher, je le fais jeter à la mer.

Les marins se retirèrent à l’ordre de leur commandant, et le colonel, livré à son enthousiasme de loyalisme, n’en continua pas moins à se promener sur le tillac, sans s’inquiéter des regards courroucés qu’on dirigeait contre lui. Mais les marins eurent bientôt à s’occuper de soins plus importants.

Quoique le vaisseau de ligne fût alors à une grande distance, à demi caché par les vagues, et qu’en moins d’une heure, à compter de l’instant où il avait lâché sa bordée, on n’aperçût plus qu’un rang de ses canons, il n’en offrait pas moins un obstacle irrésistible à tout projet de retraite vers le sud. D’une autre part, le navire aperçu le premier s’était tellement approché que l’œil suffisait pour en suivre tous les mouvements. On voyait que c’était une frégate, mais moins forte que celle des Américains, qui s’en seraient aisément emparés s’ils n’avaient eu en vue deux autres vaisseaux ennemis qui, chacun de leur côté, s’avançaient assez rapidement vers le lieu de la scène.

Au commencement de la chasse, la frégate du congrès se trouvait à la hauteur d’une pointe située en face de l’abbaye de Sainte-Ruth ; mais en ce moment elle était arrivée à peu de distance des brisants entre lesquels notre histoire a commencé. La petite frégate anglaise était alors si près que le combat parut inévitable. Griffith n’avait pas perdu le temps, et il avait déjà fait toutes les