Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour se garantir de la lumière d’une lanterne dont il était voisin, quand il fut rappelé au souvenir de sa situation en se sentant presser doucement la main. Il se retourna, vit le jeune midshipman Merry, et lui fit un signe de tête affectueux, quoique d’un air encore distrait.

— Voilà une mauvaise musique, monsieur Griffith, dit Merry : si mauvaise qu’elle ne saurait me faire danser. Je crois qu’il n’y a pas sur le vaisseau un seul homme qui n’aimât mieux entendre l’air : J’ai donc quitté ma douce amie, que ces sons exécrables.

— Quels sons, Merry ? On est aussi tranquille sur le vaisseau qu’on l’était à l’assemblée des quakers de New-Jersey, quand votre bon grand-père ne rompait pas le charme du silence par sa voix sonore.

— Riez, si bon vous semble, monsieur Griffith, du sang pacifique qui coule dans mes veines, mais songez qu’il s’en trouve un mélange dans d’autres que dans les miennes. Je voudrais entendre en ce moment les chants du bon vieillard ; car ils m’endormaient toujours comme une mouette abritée par un rocher pendant un ouragan. Mais celui qui s’endormira cette nuit au son de cette musique infernale dormira d’un bon somme.

— Musique ! je n’entends pas de musique ; à moins que vous ne donniez ce nom au bruit que font les voiles en battant l’une contre l’autre. Ce pilote lui-même, qui se promène comme un amiral sur le gaillard d’arrière, n’a rien à dire.

— Quoi ! vous n’entendez pas des sons faits pour ouvrir l’oreille de tout marine ?

— Ah ! vous parlez de ce bruit sourd occasionné par le ressac ? c’est le silence de la nuit qui le rend plus remarquable. Est-ce que vous ne le connaissiez pas encore, jeune homme ?

— Je ne le connais que trop bien, monsieur Griffith ; et je n’ai nulle envie de le connaître mieux. De combien croyez-vous que nous soyons avancés vers la côte ?

— Je ne crois pas que nous ayons beaucoup reculé. Lofez, drôle, lofez donc ; ne voyez-vous pas que vous prêtez le flanc à la mer ?

Le quartier-maître, à qui ces paroles s’adressaient, répéta que le vaisseau n’obéissait plus au gouvernail, et ajouta qu’il croyait que la frégate coulait.

— Déployez la grande voile, monsieur Griffith, dit le capitaine, et tâtons le vent.