Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/56

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Griffith le regarda un moment avec surprise ; mais ses devoirs exigeaient toute son attention, et d’autres pensées occupèrent bientôt son imagination.

La frégate était alors hors de danger. La tempête durait pourtant encore, et elle augmentait même de violence ; mais on était en pleine mer, on n’avait plus d’écueils à craindre, et l’on pouvait faire toutes les manœuvres que les circonstances exigeaient. Un coup de canon, tiré par l’Ariel, avait annoncé que le schooner était également en sûreté. Il était sorti de la haie par un autre canal que la frégate n’avait pu prendre, parce qu’elle n’y aurait pas trouvé assez d’eau. Enfin il ne resta sur le pont que le quart de service, et le reste de l’équipage alla goûter le repos dont il avait besoin.

Le capitaine se retira dans sa cabane avec le mystérieux pilote. Griffith donna ses derniers ordres ; ayant laissé des instructions à l’officier qui allait être de garde, il lui souhaita un bon quart, et alla se jeter dans son hamac. Il y passa près d’un quart d’heure à réfléchir sur les événements de la journée. Tantôt il songeait au peu de mots que Barnstable lui avait dits, et au singulier commentaire que Merry y avait ajouté ; tantôt ses pensées se tournaient vers le pilote qui, pris sur les côtes ennemies de la Grande-Bretagne, les avait si bien et si fidèlement servis. Il se rappelait l’extrême désir qu’avait eu le capitaine Munson de se procurer ce pilote, désir qui les avait exposés aux dangers dont cet inconnu venait de les tirer, et nulle conjecture ne pouvait l’aider à deviner pourquoi il avait voulu braver tant de risques pour avoir ce pilote. Bientôt ses sentiments personnels prenaient le dessus, et le souvenir de sa patrie, de sa maîtresse, de sa maison, occupaient successivement sa pensée. Il entendit encore quelque temps le bruit des vagues qui venaient se briser contre le navire ; mais enfin la tempête diminua de violence ; la nature céda à la fatigue, et le sommeil profond dont jouit ordinairement un marin, fit même disparaître les images romanesques que l’amour offrait à l’esprit de notre officier.