Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/9

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que nous allons conduire nos lecteurs, et la scène s’ouvrira à une époque particulièrement intéressante pour tout Américain, non seulement parce que c’est celle de la naissance de la nation dont il fait partie, mais parce que c’est aussi l’ère à laquelle la raison et le bon sens commencèrent à prendre la place des coutumes antiques et des usages féodaux chez les peuples de l’Europe.

Peu de temps après que les événements de la révolution d’Amérique eurent entraîné dans notre querelle les royaumes de France et d’Espagne et la république de Hollande, un groupe de cultivateurs se trouvaient rassemblés dans un champ, exposés aux vents de l’Océan, sur la côte nord-est de l’Angleterre. Ils allégeaient leurs travaux pénibles et égayaient de sombre aspect d’un jour de décembre en se communiquant leurs idées sur les affaires politiques du jour. La guerre dans laquelle l’Angleterre était engagée contre quelques-unes de ses colonies situées à l’autre extrémité de la mer Atlantique leur était connue depuis longtemps comme le bruit d’un événement lointain qui ne nous intéresse guère : mais à présent que des nations puissantes avaient pris part à cette querelle et s’étaient déclarées contre elle, le bruit des armes avait troublé jusqu’à ces villageois ignorants dans leurs retraites solitaires. Les principaux orateurs en cette occasion étaient un nourrisseur de bestiaux, Écossais de naissance, et un laboureur irlandais, qui avait passé le canal de Saint-George et traversé l’Angleterre dans toute sa largeur pour chercher de l’ouvrage.

— Ces nègres[1], dit le dernier, n’auraient pas donné grand embarras à la vieille Angleterre, pour ne rien dire de l’Irlande, si ces Français et ces Espagnols ne s’en étaient pas mêlés. À coup sûr il n’y a pas de quoi leur dire grand merci ; car au jour d’aujourd’hui il faut qu’on prenne garde de boire plus qu’un prêtre qui dit la messe, de peur de se trouver tout à coup soldat sans s’en douter.

— Bah ! bah ! répondit l’Écossais en faisant un signe de l’œil à ceux qui les écoutaient, vous autres Irlandais vous ne savez lever une armée qu’en faisant un tambour d’un tonneau de Whiskey ; or, dans le nord on n’a qu’à siffler, et vous voyez chacun marcher au son de la cornemuse d’aussi bonne grâce qu’il irait à l’église le jour du sabbat. J’ai vu tous les noms d’un régiment de monta-

  1. Ce sont les Américains qu’il désigne par ce nom.