Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/92

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puisse nous comprendre aussi facilement que nous nous comprenons nous-mêmes ; preuve que nous renonçons à l’avantage prodigieux de passer pour avoir du génie, puisque nous refusons l’aide du merveilleux et de l’incompréhensible pour obtenir cette réputation.

Nous laisserons l’Ariel à l’ombre des rochers bordant le bassin dans lequel nous l’avons conduit à la fin du chapitre précédent, et contre lesquels on entendait les vagues de l’océan se briser avec de sourds mugissements ; et nous allons introduire le lecteur dans la salle à manger de l’abbaye de Sainte-Ruth, choisissant la même soirée pour lui faire faire connaissance avec d’autres personnages de notre histoire dont nous avons à décrire le caractère et à rapporter les actions.

Cette pièce n’était pas de très-grande dimension, et elle était parfaitement éclairée tant par la lumière qu’y répandaient six chandelles, que par les rayons qui partaient d’une cheminée dont la grille contenait un feu de charbon de terre très-ardent. Les moulures de la boiserie de chêne qui couvrait les murailles en réfléchissaient la lueur sur une table d’acajou massif, et sur les verres remplis d’excellent vin qu’on y voyait. L’ameublement de cette salle consistait principalement en rideaux de damas d’un rouge foncé, et en énormes chaises de bois de chêne garnies de coussins et de dossiers couverts en cuir, et elle semblait hermétiquement fermée au monde et à ses soucis.

Trois personnes assises autour de la table placée au milieu de l’appartement semblaient jouir paisiblement du dessert d’un bon repas. La nappe avait été enlevée, et la bouteille circulait lentement, comme si les convives sentaient que ni le temps ni l’occasion ne leur manqueraient pour en savourer le contenu.

Au haut bout de la table était un homme âgé qui en faisait les honneurs autant que la politesse pouvait le rendre nécessaire dans une petite compagnie où chacun paraissait également à son aise. Il s’avançait vers le déclin de la vie, quoique sa taille droite, ses mouvements vifs et sa main ferme annonçassent que la vieillesse n’était pas arrivée chez lui avec son cortége ordinaire d’infirmités. D’après son costume, il appartenait à cette classe dont les membres suivent constamment les modes de la génération qui a précédé celle au milieu de laquelle ils vivent, soit à cause de la répugnance que leur inspire tout changement subit, soit par suite