Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/35

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Le vieillard examina avec une attention marquée la physionomie mobile du jeune idiot, tandis qu’il lui parlait ainsi en faveur de sa mère ; et lui passant ensuite doucement la main sur la tête, il dit avec un air de compassion :

— Pauvre malheureux enfant, le ciel t’a refusé le plus précieux de ses dons, et cependant son esprit veille autour de toi ; car tu peux distinguer la dureté de la tendresse, et il t’a appris à discerner le bien et le mal. Jeune homme, ne trouvez-vous pas une leçon de morale dans cette volonté de la Providence ? N’y voyez-vous pas quelque chose qui apprend que le ciel n’accorde pas de dons en vain, et qui montre la différence existant entre le devoir obtenu par indulgence, et celui qu’arrache l’autorité ?

L’officier chercha à éviter les regards perçants du vieillard, et après une pause embarrassante de quelques instants, il exprima à la vieille femme, qui sortait de son état de stupeur, le désir qu’il avait de se rendre sur-le-champ chez Mrs Lechmere. La matrone, dont les yeux avaient toujours été fixés sur le vieillard depuis qu’elle avait recouvré l’usage de ses facultés, se leva lentement, et ordonna à son fils, d’une voix faible, de conduire le jeune officier dans Tremont-Street. Elle avait acquis, par une longue pratique, un accent qui ne manquait jamais de réprimer, quand il le fallait, l’humeur capricieuse du jeune idiot, et le ton de solennité que sa vive agitation donnait en ce moment à sa voix, l’aida à y réussir. Job se leva sans répliquer, et se disposa à obéir. Chacun des acteurs de cette scène éprouvait une contrainte qui annonçait qu’elle avait fait naître en eux des sentiments qu’il serait plus prudent d’étouffer, et ils se seraient séparés en silence, si l’officier n’eût trouvé devant la porte le vieillard qui y était comme immobile.

— Passez, Monsieur, lui dit-il ; il est déjà tard, et vous pouvez comme moi avoir besoin d’un guides, pour trouver votre demeure.

— Les rues de Boston me sont familières depuis longtemps, répondit le vieillard ; j’ai vu cette ville s’accroître, des mêmes yeux qu’un père voit grandir son enfant, et mon amour pour elle est vraiment paternel. Il me suffit de me trouver dans un endroit où la liberté est regardée comme le plus grand bien ; peu m’importe sous quel toit ma tête y repose : autant vaut celui-ci qu’un autre.

— Celui-ci ! répéta l’officier en jetant les yeux sur un ameuble-