Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/123

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nez dans un livre, et je ne vois pas à quoi cela peut servir. Sans savoir ni lire ni écrire, je n’en ai pas moins tué jusqu’à deux cents castors dans une saison, sans compter le reste du gibier ; et, si vous en doutez, vous pouvez le demander à Chingachgook que voilà, car c’était dans le cœur du Delaware, et il sait que je ne dis que la vérité.

— Je ne doute pas, mon cher ami, dit le ministre, que vous n’ayez été brave soldat et bon chasseur ; mais il faut quelque chose de plus pour vous préparer à la fin qui approche. Vous connaissez peut-être le proverbe qui dit que les jeunes gens peuvent mourir, mais qu’il faut que les vieillards meurent.

— Je n’ai jamais été assez sot pour m’imaginer que je vivrais toujours, répliqua Natty en riant à sa manière, c’est-à-dire du bout des lèvres ; on ne peut avoir une telle idée quand on a vécu dans les bois avec les sauvages comme je l’ai fait, et quand on a habité pendant les mois de chaleur sur le bord des lacs. J’ai une bonne constitution, je puis bien le dire, car j’ai bu cent fois l’eau de l’onondago[1], tandis que je guettais les daims qui venaient y boire, et quand on y voyait croître la plante à fièvre en aussi grande quantité qu’on voit des serpents à sonnettes sur le vieux Crumborn. Malgré tout cela, il ne m’est jamais venu à l’esprit que je vivrais éternellement, quoiqu’il existe encore des gens qui ont vu d’épaisses forêts couvrir des terres aujourd’hui en pleine culture, et où vous chercheriez une semaine entière avant de trouver seulement une souche de pin. Et pourtant c’est un bois qui dure en terre la meilleure partie d’un siècle.

— Tout cela n’est que du temps, mon cher ami, dit M. Grant, qui commençait à prendre intérêt à sa nouvelle connaissance, et c’est à l’éternité qu’il faudrait vous préparer. C’est un devoir pour vous d’assister à l’exercice du culte public, et je suis charmé que vous l’ayez fait ce soir. Penseriez-vous à partir pour la chasse avec un fusil sans baguette et sans pierre ?

— Il faudrait être bien maladroit, dit Natty en riant encore, pour ne pas savoir faire une baguette avec une pousse de frêne, et trouver une pierre à feu dans les montagnes. Mais je vois que les temps sont changés ; ces montagnes ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois, il y a trente ans, il y en a dix ; la force l’emporte

  1. L’Onondago ou Onondaga est un lac, dans le comté du même nom, autour duquel habitait la tribu des Onondagas, alliée des Iroquois.