Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/233

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La vue du feu fit doubler le pas aux piétons, car les deux jeunes amies elles-mêmes désiraient arriver à temps pour voir tirer le filet. La lune s’était cachée derrière un bois de pins situés à l’ouest ; quelques légers nuages couvraient d’un voile la plupart des étoiles, et l’on n’avait d’autre clarté que celle qui était produite par le bûcher composé de broussailles, de branches et de racines, qui avait été préparé pendant la journée par ordre de Richard.

Ils arrivèrent enfin à peu de distance du lieu du rendez-vous, et Marmaduke fit faire une halte à quelques pas, pour écouter la conversation des pêcheurs. Ils étaient assis par terre, autour du feu, à l’exception de Richard et de Benjamin. Le shérif s’était emparé d’une grosse souche faisant partie de celles qu’on avait apportées pour former le bûcher ; et le majordome, debout, les bras croisés contre le feu, était tantôt éclairé par un torrent de lumière, tantôt enveloppé dans un tourbillon d’épaisse fumée.

— Vous pouvez regarder comme une affaire sérieuse, monsieur Jones, disait Benjamin, de pêcher dans un lac un poisson de quinze à vingt livres, mais c’est une pauvre chose, après tout, pour un homme qui a halé à bord des requins.

— Il me semble, répondit Richard, que lorsqu’on prend, d’un coup de filet, un millier de perches de l’Otsego, sans compter les brochets, les carpes, les tanches et autres poissons, ce n’est pas une trop mauvaise pêche. On peut trouver quelque plaisir à harponner un requin, mais une fois qu’il est pris, à quoi est-il bon ? Or, de tous les poissons que je viens de vous nommer, il n’y en a pas un qui ne soit digne de la bouche d’un roi.

— Fort bien, monsieur Jones ; mais écoutez la philosophie de la chose. Serait-il raisonnable de s’attendre à trouver dans ce petit étang, où il y a à peine assez d’eau pour noyer un homme des poissons tels que ceux qui vivent dans le profond Océan, où tout le monde sait…, c’est-à-dire quiconque a été marin, qu’on voit des baleines aussi grandes que le plus grand de tous ces pins ?

— Doucement, Benjamin, doucement ; songez-vous qu’il y a quelques-uns de ces pins qui ont deux cents pieds de hauteur et même davantage ?

— Deux cents, deux mille, qu’importe ? n’y ai-je pas été ? ne l’ai-je pas vu ? je vous ai dit qu’il y en a d’aussi grandes que le plus grand de ces pins, et je ne m’en dédirai pas.