Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/250

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de deux minutes. Richard, impatient de savoir dans quelle situation se trouvait son favori, s’était avancé dans l’eau jusqu’à ce qu’elle lui vint au-dessus de la ceinture, et il aida Billy Kirby à le transporter près du feu, où il recommença à revenir à lui, tandis que le shérif donnait les ordres suivants :

— Courez, Kirby, courez au village, et rapportez-en le tonneau dans lequel je fais du vinaigre, et dépêchez-vous ; ne vous amusez pas à vider le vinaigre. Achetez chez M. Le Quoi du tabac et une demi-douzaine de pipes. Demandez à Remarquable son flacon de sels et un de ses jupons de flanelle. Dites au docteur Todd de venir sur-le-champ, ou plutôt qu’il m’envoie une lancette.

— Eh bien ! cousin ’Duke, à quoi pensez-vous donc ? vous faites avaler du rhum à un homme qui n’a déjà que trop bu ?

Pendant ce temps Benjamin serrait encore dans ses mains les roseaux auxquels il s’était accroché ; ses yeux s’étaient rouverts, et ses poumons jouaient avec la force d’un soufflet de forgeron, comme pour se dédommager de la minute d’inaction à laquelle ils avaient été condamnés. Comme il tenait ses lèvres serrées l’une contre l’autre avec un air de détermination, l’air ne pouvait passer que par ses narines, de sorte qu’on aurait pu dire qu’il ronflait au lieu de respirer.

La bouteille que Marmaduke approcha de la bouche de son intendant agit comme un talisman. Ses lèvres s’entrouvrirent ; ses mains lâchèrent les roseaux pour saisir la fiole qui lui était présentée ; ses yeux, qui regardaient tour à tour, d’un air égaré, tous ceux qui l’entouraient, se fixèrent vers le ciel, et il sembla en ce moment retrouver la vie. Malheureusement pour les goûts du majordome, quand il eut bu quelques instants, le besoin de respirer se fit sentir à lui aussi fortement qu’après son immersion, et il fut obligé d’éloigner la bouteille de sa bouche.

— Vous m’étonnez, Benjamin, s’écria le shérif ; est-il possible qu’un homme qui a votre expérience agisse si inconsidérément ? Vous êtes déjà plein d’eau, et voilà que…

— Voilà que j’y ajoute du rhum pour faire du grog, répondit Benjamin, dont les traits avaient alors repris leur expression habituelle. Mais ne craignez rien, monsieur Jones, j’ai eu soin de tenir mes écoutilles bien fermées, et il n’est pas tombé beaucoup d’eau dans l’entrepont. Quant à vous, maître Kirby, j’ai voyagé longtemps sur l’eau salée, quelquefois sur l’eau douce, et je puis