Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/272

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Tout en parlant ainsi, il dénouait la corde qui attachait la barque d’Edvards à son canot, et en jetant le bout dans le lac, il s’écria :

— Prends les rames, John, prends les rames ; cette créature est folle de nous exposer à une pareille tentation.

Mohican obéit sur-le-champ, et un seul coup de rames séparant le canot de la barque d’Edwards le fit voguer sur le lac avec la rapidité d’un météore.

— Prenez bien garde à ce que vous allez faire, mes amis, s’écria le jeune homme ; songez que vous êtes en vue du village, et que le juge Temple a déclaré qu’il ferait punir suivant toute la rigueur des lois quiconque tuerait un daim hors de saison.

Cette remontrance ne fut pas écoutée ; les deux vieux chasseurs continuèrent à poursuivre le daim, qui n’était en avance que d’une cinquantaine de toises, et Edwards, faisant jouer les rames à son tour, les suivit à peu de distance.

Bas-de-Cuir prit son fusil, en renouvela l’amorce, coucha le daim en joue ; mais il baissa son arme sans faire feu.

— À quoi bon perdre de la poudre et du plomb ? dit-il ; il ne peut nous échapper. Forcez de rames, Mohican, il faut nous en approcher davantage. D’ailleurs, je veux lui laisser une chance, et s’il peut se sauver à la nage, tant mieux pour lui !

Le vieil Indien faisait marcher le canot avec une telle rapidité, qu’en très-peu de minutes ils se trouvèrent presque à côté du daim.

— Œil-de-Faucon, s’écria-t-il, prends ton harpon maintenant, nous voilà à portée.

Natty ne sortait jamais de chez lui sans être muni de tout ce qui pouvait lui être utile. Son fusil était son compagnon inséparable. Il l’avait pris ce matin, quoiqu’il n’eût dessein que de pêcher à la ligne ; et il avait dans son canot son harpon et même le brasier de fer dans lequel il allumait du feu pour pêcher pendant la nuit. Cette précaution était le résultat des habitudes du vieux chasseur qui, dans ses excursions, allait souvent beaucoup plus loin qu’il n’en avait formé le projet. Quelques années auparavant, ayant quitté sa butte pour aller chasser quelques jours sur les montagnes voisines avec son fusil et ses chiens, il n’y était rentré qu’après avoir vu les rives du lac Ontario. Deux ou trois cents milles n’étaient rien alors pour lui ; mais depuis que ses nerfs commençaient à être raidis par l’âge, il était rare qu’il entreprît de si longues courses.