Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/352

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sa chair, car elle a bien l’air d’un squelette habillé. Quant à la peau du visage, c’est tout comme une vieille voile.

— Silence, Benjamin ! je vous ordonne de vous taire, dit Élisabeth.

— Bien, miss Lizzy, je me tairai, mais heureusement vous ne m’avez pas défendu de boire.

— Ne parlons pas des autres, Natty ; votre détention ne sera pas bien longue, dit Élisabeth en se tournant de nouveau vers Bas-de-Cuir, et je veux que vous passiez le reste de votre vie dans l’aisance et l’abondance.

— Dans l’aisance et l’abondance ! répéta le vieux chasseur. Et quelle aisance peut-on trouver dans un pays où l’on peut être obligé de faire un mille avant de trouver un arbre sous lequel on puisse se mettre à l’abri des rayons du soleil ? Quelle abondance peut-on y espérer, quand on y chasse quelquefois une journée entière avant d’apercevoir un daim, ou une pièce de gibier plus grosse qu’un écureuil ? Les castors qu’il faut que je trouve pour payer mon amende me donneront du mal. Il faut que j’aille à plus de cent milles d ici, sur les frontières de la Pensylvanie, car vous avez chassé du pays les pauvres créatures par vos défrichements. Monsieur La Pompe, si vous voulez encore vider cette bouteille, vous ne serez plus en état de vous servir de vos jambes quand le moment en sera arrivé.

— Ne craignez rien, monsieur Bumppo. Quand je serai appelé à être de quart, vous verrez que je ne manquerai pas à la manœuvre, je ferai voile comme vous autres.

— Mais l’instant est venu, dit Bas-de-Cuir en écoutant avec attention ; j’entends les bœufs frotter leurs cornes contre les murs de la prison.

— Eh bien ! capitaine, dit Benjamin, dites le mot d’ordre, et je lève l’ancre.

— Vous ne nous trahirez pas, miss Bessy ? dit Natty en regardant Élisabeth avec une simplicité naïve. Vous ne voudriez pas trahir un vieillard qui a besoin de respirer l’air des bois. Je ne veux de mal à personne, et si la loi exige que je paie cent dollars d’amende, je ne demande que la liberté pour m’acquitter, et voilà un brave homme qui m’aidera à les amasser.

— Oui, oui, dit Benjamin, mais ce ne sera pas pour les jeter à la mer en guise d’amende ; je n’entends pas qu’ils s’en aillent ainsi, ou appelez-moi voie d’eau.