Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/365

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Vous ne connaissez assez ni nos lois ni nos mœurs pour pouvoir nous juger. Est-ce mon père que vous accusez d’injustice ?

— Non. Le frère de Miquon est bon ; je l’ai dit à Œil-de-Faucon, je l’ai dit au Jeune Aigle ; il fera ce qui est juste.

— Qui appelez-vous le jeune Aigle ? demanda Élisabeth en baissant les yeux. Qui est-il ? d’où vient-il ?

— Ma fille a-t-elle vécu si longtemps avec lui pour me faire cette question ? La vieillesse glace le sang, comme la gelée durcit les eaux du lac en hiver ; mais la jeunesse échauffe le cœur comme les rayons du soleil animent la nature au printemps. Le jeune Aigle a des yeux, n’a-t-il pas de langue ?

— Du moins il n’en a pas pour m’apprendre ses secrets, répondit Élisabeth, moitié en souriant, moitié en rougissant ; il est trop Delaware pour confier ses pensées à une femme.

— Ma fille, le Grand-Esprit a donné une peau blanche à votre père et une peau rouge au mien, mais il a donné la même couleur à leur sang. Dans la jeunesse, il est ardent et impétueux ; dans la vieillesse, il est froid et tranquille. Quelle différence y a-t-il donc sous la peau ? Aucune. John eut une femme autrefois ; elle fut mère de ce nombre de fils ; et il leva en l’air trois doigts de sa main droite. Elle eut aussi des filles qui auraient rendu heureux de jeunes guerriers delawares. Elle était bonne, ma fille, car elle faisait ce que je lui commandais ; vous avez des usages différents des nôtres ; mais croyez-vous que John n’aimait pas la femme de sa jeunesse, la mère de ses enfants ?

— Et qu’est devenue votre famille, John ? demanda Élisabeth, vivement émue par l’air de mélancolie du vieux chef.

— Qu’est devenue la glace qui couvrait ce lac l’hiver dernier ? Elle s’est fondue et s’est mêlée avec l’eau. John a assez vécu pour voir toute sa famille partir pour le pays des Esprits ; mais son heure est arrivée, et il est prêt.

Mohican baissa la tête sur sa poitrine, en la cachant dans sa couverture, et garda le silence. Miss Temple ne savait plus que lui dire. Elle désirait détourner les idées du vieux guerrier des sombres réflexions auxquelles il se livrait, mais elle trouvait dans le chagrin et dans le courage de l’Indien un air de dignité qui lui imposait.

Après une pause de quelques instants, elle renoua pourtant la conversation.