Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ruisseau et la source ; elle desséchait la mousse qui en garnissait les environs, et détachait du tronc des arbres morts les fragments d’écorce qui y restaient encore. Miss Temple, placée au bout de la terrasse, sur le bord du précipice, voyant s’approcher un ennemi irrésistible, croyait déjà voir s’enflammer l’herbe et les arbres qui étaient près d’elle. Il y avait des moments où le vent poussait de noirs nuages de fumée sur la plate-forme ; et dans cette obscurité croissante, le pétillement des flammes et le bruit de la chute des arbres, répétés par tous les échos, n’en paraissaient que plus effrayants. Des trois individus exposés à ce danger, Edwards paraissait le plus agité. Élisabeth, ayant perdu tout espoir, était arrivée à cet état de résignation qui est souvent l’apanage du sexe le plus faible, quand il s’agit de braver des maux inévitables. Mohican, qui était le plus voisin du danger, l’attendait avec le maintien calme d’un guerrier indien. Deux ou trois fois ses yeux, qui étaient généralement fixés sur les montagnes qu’on apercevait dans le lointain, se tournèrent avec une expression de pitié sur le jeune couple qui paraissait voué à une mort cruelle et prématurée ; mais ses regards reprenaient ensuite la même direction, comme s’ils eussent voulu percer dans la nuit de l’avenir. Pendant ce temps il chantait à voix basse dans la langue des Delawares, avec le ton creux et guttural habituel à cette nation :

— Monsieur Edwards, dit Élisabeth, dans un pareil moment toutes distinctions cessent ; persuadez à John de venir près de nous ; nous mourrons tous trois ensemble.

— Impossible, répondit Edwards ! je le connais, il ne bougera pas. Il est vieux ; il s’est senti affaibli depuis quelque temps, et il regarde ce moment comme le plus heureux de sa vie. Ah ! miss Temple, si quelque chose peut réconcilier avec la mort, c’est d’avoir à la subir avec vous.

— Ne parlez pas ainsi, Edwards, s’écria Élisabeth ; notre cœur en ce moment doit être mort à toute émotion terrestre. Nous mourrons, oui, nous mourrons ; c’est la volonté de Dieu, et nous devons nous résigner en enfants soumis.

— Mourir ! s’écria Edwards en poussant un cri qui semblait l’accent du désespoir ; non, vous ne mourrez pas ! non, tout espoir n’est pas encore perdu !

— Et comment échapper à la mort ? demanda Élisabeth en lui