Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/52

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qui veulent vivre aux dépens de la gloire des autres. Vous souvenez-vous que lorsque je peignis l’enseigne du Hardi Dragon, pour le capitaine Hollister, un drôle, qui n’avait d’autre métier que de badigeonner les maisons, vint un jour m’offrir de me broyer du noir pour faire la queue et la crinière du cheval ? Eh bien ! parce qu’il donna quelques coups de pinceau pour essayer la couleur, ne prétend-il pas m’avoir aidé à faire l’enseigne ? Si Marmaduke ne le chasse du village, je ne touche plus une brosse ni un pinceau de ma vie, et l’on verra où l’on trouvera un peintre en décors.

Richard se fut un instant, et toussa d’un air d’importance, tandis que le jeune nègre, gardant un silence respectueux, travaillait à mettre le sleigh en état de partir. Marmaduke, conservant encore quelques restes des principes religieux des quakers, ne voulait point avoir d’esclave à son service, et par conséquent Aggy était pour un temps[1] celui de Richard Jones, qui exigeait de lui respect et obéissance sans bornes. Cependant, quand il y avait quelque différence d’opinion entre son maître nominal et celui qui l’était en réalité, le nègre était assez bon politique pour éviter de donner la sienne. Richard reprit la parole :

— Je ne serais pas surpris que ce jeune homme qui était avec le juge, et qui est venu se jeter comme un fou à la tête de mes chevaux, prétendît nous avoir sauvé la vie à tous, tandis que, s’il était resté bien tranquille, en une demi-minute je faisais tourner la voiture sans verser. Rien ne gâte la bouche d’un cheval comme de le tirer en avant par la bride.

Il fit encore une pause à ces mots, car sa conscience lui reprochait tout bas de parler ainsi d’un homme à qui il sentait qu’il devait la vie. — Qui est ce jeune homme, Aggy ? je ne me souviens pas de l’avoir jamais vu.

Le nègre, ne voulant pas perdre la récompense que le juge lui avait fait espérer, ne voulut entrer dans aucun détail, et se borna

  1. L’affranchissement des esclaves à New-York a été graduel. Lorsque l’opinion publique tourna en leur faveur, il s’établit une coutume d’acheter les services d’un esclave pendant six ou huit ans, à la condition de lui donner la liberté à cette époque. Alors la loi déclara que tous les esclaves nés après un certain jour seraient libres, les hommes à vingt-huit ans, les femmes à vingt-cinq. Le propriétaire fut aussi obligé de faire apprendre à lire et à écrire à ses serviteurs, avant qu’ils eussent atteint l’âge de dix-huit ans. Enfin, le peu qui restait fut entièrement libéré sans condition en 1826, après la publication de cet ouvrage. Il était en usage parmi les personnes plus ou moins liées avec les quakers, qui n’eurent jamais d’esclaves, d’adopter le premier expédient.