Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/110

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— C’est bien certain. Ma femme est cousine de l’épouse du collecteur, et je sais que les papiers sont prêts, et que ce n’est que le vent qui le retient. Il faut que vous sachiez que j’ai quelques comptes courans avec les jaquettes bleues[1], et il faut qu’un honnête homme veille à ses intérêts par des temps difficiles comme ceux-ci. Oui, le voilà : c’est un bâtiment bien connu, la Royale Caroline. Il fait régulièrement un voyage tous les ans entre les colonies et Bristol, et touche ici en venant et en s’en allant, pour nous fournir certaines denrées et y prendre du bois et de l’eau ; et alors il s’en retourne en Angleterre ou va à la Caroline, suivant les circonstances.

Et je vous prie, monsieur, est-ce un bâtiment bien armé ? demanda l’étranger qui commençait à perdre son air pensif, par suite de l’intérêt manifeste qu’il prenait à cette conversation.

— Oui, oui ; il n’est pas sans quelques boule-dogues en état d’aboyer pour défendre ses droits, comme aussi de dire un mot à l’appui de l’honneur de sa majesté. — Judy ! Judy ! cria-t-il à haute voix à une jeune négresse qui ramassait des copeaux de bois dans un chantier, courez chez le voisin Homespun, et frappez comme il faut à la fenêtre de sa chambre à coucher. Le brave homme a dormi plus que de coutume. Il n’est pas ordinaire d’entendre sonner sept heures avant que le tailleur ait fait passer quelques gouttes d’amers par son gosier desséché.

Le dialogue fut interrompu quelques instans pendant que la négresse exécutait les ordres de son maître. Mais les coups frappés à la croisée ne produisirent d’autre effet que d’attirer une réponse aigre de Désirée, dont la voix pénétra à travers les planches minces qui couvraient le bâtiment, aussi facilement que si c’eût été un tamis. Un moment après la fenêtre s’ouvrit, et Désirée exposa son visage mécontent à l’air frais du matin.

— À quoi faut-il encore m’attendre ? s’écria l’épouse offensée, qui s’imaginait que c’était son mari qui, après avoir passé toute la nuit dehors, se permettait de troubler ainsi le sommeil de sa femme pour rentrer dans ses pénates. — À quoi faut-il encore m’attendre ? N’est-ce pas assez que vous ayez abandonné ma table et mon lit pendant une longue nuit ? Faut-il encore que vous veniez interrompre le repos naturel de toute une famille, sept bienheureux enfans, sans compter leur mère ? Ô Hector ! Hector !

  1. Les marins. — Éd.