Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portée de pouvoir héler un pauvre diable, à peu près au commencement du quart du matin, à quelque distance d’ici, dans les buissons qu’on trouve entre cette ville et le bac qui conduit hors de l’île.

— Quelle espèce d’homme était-ce ? demandèrent en même temps cinq à six voix empressées, parmi lesquelles celle de Désirée maintenait sa suprématie, s’élevant au-dessus de toutes les autres, à peu près comme les sons produits par un musicien du premier talent s’élèvent d’une croche au-dessus des accens plus modestes du reste de ses confrères.

— Quelle espèce d’homme ! Ma foi ! c’était un drôle ayant les bras charpentés d’un bord à l’autre, et les jambes fendues comme celles de tous les autres chrétiens, à coup sûr. Mais maintenant que vous m’en parlez, je me souviens qu’il avait un bout de jambe de chien[1] à une de ses jambes, et qu’il avait beaucoup de roulis sur l’avant.

— C’était lui, s’écria le même chœur de voix. Et au même instant cinq ou six auditeurs sortirent adroitement de la foule, dans l’intention louable de courir après le délinquant, pour s’assurer le paiement de certaines balances de compte, par le résultat desquelles il se trouvait que le brave homme était leur redevable. Si nous avions le loisir de détailler la manière dont furent conduits ces efforts dignes d’éloges pour sauver un argent bien gagné, le lecteur pourrait trouver quelque amusement dans la diligence secrète que firent, chacun de leur côté, ces dignes trafiquans, pour gagner de vitesse sur leurs autres voisins. Quant à Désirée, comme elle n’avait ni espoir de faveur à obtenir de son mari déserteur, ni demande légale à lui faire, elle se contenta de continuer, sans changer de place, telles enquêtes sur le fugitif qu’il lui plut de faire. Il est possible que les plaisirs de la liberté, sous la forme du divorce, flottassent déjà devant les yeux de son esprit actif, avec la perspective consolante d’un second mariage, appuyée par l’influence d’un autre tableau que pouvait tracer son imagination d’après les souvenirs de son premier amour, et que tous ces motifs eussent une tendance manifeste à pacifier son esprit courroucé et à rendre plus directes et plus énergiques ses questions subséquentes.

— Avait-il l’air d’un filou ? demanda-t-elle sans faire attention

  1. Terme de marine : nœud qu’on fait à l’itague d’un palan. — Éd.