Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/176

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à l’ancre. — Holà ! lofez ! lofez de nouveau ! Serrez le vent de plus près ! Levez les petites voiles ! Le négrier a un grelin jeté précisément sur notre route. S’il y a de la justice dans les plantations, je traduirai ce capitaine devant les tribunaux.

— Que veux dire ce drôle ? se demanda Wilder en sautant à la hâte sur un canon pour mieux juger de l’état des choses.

Son lieutenant lui montra la hanche de l’autre navire, qui était sous le vent, et le jeune marin n’y vit que trop clairement un câble qui fouettait l’eau, comme si l’on eût été occupé à le tendre. La vérité lui sauta aux yeux sur-le-champ. Le Corsaire était secrètement amarré par le moyen d’un câble à ressort, dans la vue d’être plus promptement préparé à faire porter ses canons sur la batterie, s’il lui devenait nécessaire de se défendre ; et il profitait alors de cette circonstance pour empêcher le bâtiment marchand de lui passer sous le vent. Cet arrangement causa beaucoup de surprise, accompagné d’un nombre raisonnable de juremens, parmi les officiers de la Caroline, quoique aucun d’eux n’eût le moindre soupçon de la véritable cause qui avait fait placer une touée de cette manière, et qui faisait tendre un câble si maladroitement sur leur route. Le pilote fut le seul parmi eux qui trouva dans cet incident un motif de se réjouir, il avait dans le fait placé le navire dans une position qui lui rendait presque aussi difficile de passer d’un côté du négrier que de l’autre, et il trouvait maintenant une excuse suffisante pour se justifier, s’il arrivait quelque accident dans le cours de la manœuvre extrêmement critique dont il n’y avait plus moyen de se dispenser.

— C’est prendre une liberté fort extraordinaire à l’entrée d’un port, murmura Wilder quand ses yeux l’eurent convaincu du fait que nous venons de rapporter. Il faut pousser le navire au vent, pilote, la chose est sans remède.

— Je me lave les mains des suites, et j’en prends à témoin tous ceux qui sont à bord, répondit le pilote avec l’air d’un homme profondément offensé, quoiqu’il fût secrètement charmé d’avoir l’air d’être forcé à la manœuvre qu’il avait mis tant d’opiniâtreté à vouloir exécuter quelques momens auparavant. Il faudra recourir aux lois, si nous avons une planche brisée ou un cordage rompu. — Lofez ! camarade, lofez au plus près du vent, et essayez une demi-bordée.