Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/196

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de satisfaction et de gaîté que tout officier de marine est plus ou moins accoutumé à montrer quand il a dégagé son navire des dangers qu’occasionne le voisinage de la terre, et qu’il le voit lancé sur l’abîme sans fond et sans chemin tracé de l’océan. Il ne fit plus aucune allusion aux périls de la traversée, mais il s’efforça, au contraire, par mille soins assidus, que sa situation lui permettait, d’effacer de leur esprit tout souvenir de ce qui s’était passé. Mrs Wyllys se prêta aux efforts qu’il faisait pour dissiper leurs craintes, et quiconque aurait ignoré les conversations qui avaient eu lieu précédemment entre eux, aurait cru voir, dans la petite compagnie rassemblée pour le repas du soir, un groupe de voyageurs satisfaits et pleins de confiance, qui s’étaient mis en route sous les plus heureux augures.

Cependant la gouvernante fixait encore de temps en temps des yeux inquiets et presque égarés sur notre aventurier. Elle écoutait les saillies du jeune marin, dont la gaîté avait quelque chose de particulier parce qu’elle se ressentait de sa profession, avec un sourire d’indulgence, mais en même temps mélancolique, comme si l’enjouement du jeune homme, empreint d’une touche véritablement nautique, eût retracé à son imagination des images qui lui étaient familières, mais qui y répandaient la tristesse. Gertrude goûtait un plaisir plus pur : elle retournait dans ses foyers, près d’un père chéri et indulgent ; et mesure que le navire cédait à une nouvelle impulsion du vent, il lui semblait qu’un de ces longs milles qui l’en avaient séparé si long-temps venait encore d’être franchi.

Pendant ces instans aussi courts qu’agréables, l’aventurier qui avait été appelé d’une manière si singulière au commandement de la Caroline se montra sous un jour tout différent qu’il ne l’avait encore fait. Quoique sa conversation fût caractérisée par la franchise mâle d’un marin, cette franchise était adoucie par toute la délicatesse du savoir-vivre le plus exquis. La jolie bouche de Gertrude faisait souvent de vains efforts pour cacher les sourires qui jouaient sur ses lèvres, et creusaient des fossettes sur ses joues, comme un doux zéphir trace de légers sillons sur la surface d’une eau limpide : mais une fois ou deux, une saillie de Wilder frappant inopinément son imagination, elle fut forcée de céder à l’impulsion d’une gaîté irrésistible.

Une heure de conversation familière sur un navire fait quelquefois plus, pour fondre la glace extérieure dont le monde en-