Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le voici ! s’écria Wilder ; et, de par le Ciel ! il a déjà viré de bord !

La vérité de ce que disait notre jeune aventurier était certainement alors évidente aux yeux de tout marin. De même qu’auparavant, on voyait se dessiner sur l’arrière-plan de l’horizon menaçant ces mêmes lignes déliées qui paraissaient une vapeur légère, et qui ressemblaient assez aux ombres les plus faibles que jette sur une surface plus brillante l’illusion de la fantasmagorie. Mais pour des marins qui savaient si bien distinguer la ligne toute différente que formaient alors les mâts de ce vaisseau, il était manifeste qu’il avait tout à coup changé de route avec beaucoup de dextérité, et qu’il ne gouvernait plus au sud-ouest, mais que, de même que la Caroline, il marchait au nord-est. Ce fait parut produire une forte impression sur tout l’équipage, quoique, si l’on eût approfondi les raisons sur lesquelles chacun fondait son opinion, on les eût probablement trouvées entièrement différentes les unes des autres.

— Ce vaisseau a réellement viré de bord ! s’écria Earing après une longue pause donnée aux réflexions, et d’une voix sur laquelle la méfiance, ou plutôt une crainte superstitieuse, commençait à prendre l’ascendant ; j’ai vogué long-temps sur la mer, mais je n’ai jamais vu un navire virer ainsi contre une mer qui le bat en proue. Il faut qu’il ait tremblé au vent pendant que nous le cherchions il y a quelques instans ; sans quoi nous ne l’aurions pas perdue de vue.

— Un navire léger et prompt à la manœuvre peut virer ainsi, dit Wilder, surtout s’il a à bord un grand nombre de bras.

— Belzébuth ne manque jamais de bras ; et il lui en coûterait peu pour faire voler comme une flèche le plus lourd et le plus paresseux des vaisseaux.

— Monsieur Earing, dit Wilder, nous déploierons toutes les voiles de la Caroline, et nous lutterons de vitesse avec ce navire insolent. Amurez la grande voile et déployez celles de perroquet.

Le lieutenant, dont l’esprit ne marchait qu’à pas lents, aurait fait des représentations sur cet ordre s’il avait osé ; mais il y avait dans le ton ferme, quoique calme et mesuré, de son jeune commandant, quelque chose qui l’intimida. Il n’avait pourtant pas tort en jugeant que l’ordre qu’il devait faire exécuter pouvait entraîner quelques risques. La Caroline marchait déjà sous autant de voiles qu’il jugeait prudent de lui en faire porter à une