Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/213

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des formes modifiées par leurs habitudes nationales respectives, et par leurs opinions particulières. Le matelot de la Baltique a ses rites secrets et sa manière de se rendre propices les dieux des vents. Le marinier de la Méditerranée s’arrache les cheveux, et se prosterne devant la châsse de quelque saint, quand sa propre main pourrait mieux lui rendre le service qu’il en attend. L’Anglais, plus habile, voit les esprits des morts dans la tempête, et entend les cris d’un camarade naufragé dans l’ouragan qui traverse les mers sur le sein desquelles il navigue. L’Américain lui-même, quoique plus instruit et raisonnant mieux, n’a pu se soustraire entièrement à l’influence secrète d’un sentiment qui semble inhérent à sa profession.

Il y a dans l’immensité des mers une majesté qui tend à tenir ouvertes les portes de cette crédulité facile qui assiége plus ou moins l’esprit de tous les hommes, de quelque manière que la réflexion ait pu fortifier leur intelligence. Avec le firmament sur sa tête, tandis qu’il est errant sur une étendue de mer qui semble sans bornes, le marin moins instruit est tenté, à chaque pas de son voyage, de chercher à se soulager l’esprit par quelque présage favorable. Les augures soutenus par des causes scientifiques en protègent à leur tour un plus grand nombre, qui n’ont leur origine que dans une imagination exaltée et inquiète. Le dauphin qui saute dans l’eau, le marsouin passant rapidement près du navire, l’énorme baleine soulevant pesamment une partie de sa masse noire, les cris des oiseaux de mer, ont, suivant lui, comme les signes des anciens aruspices, leurs conséquences heureuses ou funestes. La confusion entre les choses qui sont inexplicables et les choses qui n’existent pas, place graduellement l’esprit du marin dans un état qui fait qu’il se livre avec plaisir à tout sentiment exalté et outre nature, quand ce ne serait que par la seule raison que, de même que le vaste élément sur lequel il passe sa vie, toute chose incompréhensible pour lui lui paraît par cela même surnaturelle.

L’équipage de la Royale Caroline n’avait pas l’avantage d’être composé d’hommes nés dans un pays où l’habitude et la nécessité se sont réunies pour mettre en exercice toutes les facultés de l’homme, au moins jusqu’à un certain degré. Tous avaient reçu le jour dans cette île éloignée qui a été, et qui continue encore à être, une ruche de nations, qui sont probablement destinées à faire connaître son nom dans un temps où l’on voudra voir,