Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/232

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— Oui, reprit Knighthead, je trouve aussi que la Caroline ne va pas mal pour un honnête vaisseau marchand, et il y a peu de bâtimens mâtés à carré, qui ne portent point le pavillon du roi, qui puissent lui gagner le vent ou la reléguer dans leurs eaux, lorsqu’elle à toutes ses bonnettes ; mais c’est un temps et une heure qui doivent faire réfléchir un marin. Voyez là-bas cette lumière grisâtre qui avance si rapidement sur nous, et dites-moi si elle vient de la côte d’Amérique ou bien du navire inconnu qui nous est resté si long-temps sous le vent, mais qui maintenant l’a pris sur nous, ou du moins est bien prêt à le prendre, sans que personne ici puisse dire comment ni pourquoi. Pour moi, voilà tout ce que j’ai à vous dire : — Donnez-moi pour compagnie un bâtiment dont je connaisse le capitaine, ou ne m’en donnez point.

— C’est là votre goût, monsieur Knighthead ? dit froidement Wilder ; le mien pourrait quelquefois être différent.

— Oui, oui, dit Earing plus circonspect et plus prudent ; en temps de guerre et avec des lettres de marque à bord, on peut légitimement souhaiter que la voile qu’on a sous les yeux ait pour maître un étranger, ou autrement on ne rencontrerait jamais en mer un ennemi ; mais, quoique je sois moi-même Anglais de naissance, je serais assez tenté de laisser la mer libre au vaisseau qui est entouré de ce brouillard, attendu que je ne connais ni sa nation ni ses projets. — Ah ! capitaine Wilder ! voilà un spectacle terrible pour le quart du matin. Souvent, bien souvent, j’ai vu le soleil se lever à l’est sans qu’il arrivât aucun mal ; mais il n’y a rien de bon à attendre d’un jour où la lumière perce d’abord à l’ouest. Je donnerais bien volontiers aux armateurs ma part du mois dernier, quoique je ne l’aie gagnée qu’à la sueur de mon front, pour savoir seulement sous quel pavillon vogue ce vaisseau inconnu.

— Français, espagnol ou diable, le voilà qui vient ! s’écria Wilder. Alors se tournant vers l’équipage silencieux et attentif, il cria d’une voix effrayante de force et d’énergie : — Halez la vergue d’avant ! halez, mes amis, fort et ferme !

C’étaient là des cris qui ne pouvaient manquer d’être entendus de l’équipage. Tous les efforts des nerfs et des muscles furent déployés pour exécuter ces ordres, afin d’être en mesure de recevoir la tempête qui approchait. Personne ne disait mot ; mais chacun employait toutes ses forces, toute son énergie, comme à l’envi l’un de l’autre. Et il n’y avait pas en effet un moment à perdre,