Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée qui avait donné cet ordre, le lieutenant obéit, et s’élança sur le mât d’artimon pour exécuter de ses propres mains le commandement qu’il savait devoir suivre. — Faut-il couper ? demanda-t-il le bras levé et d’une voix ferme et assurée qui rachetait bien le moment de faiblesse qu’il avait montré.

— Attendez ! Le vaisseau est-il sensible au gouvernail ?

— Pas le moins du monde.

— Alors coupez, ajouta Wilder d’une voix calme et sonore.

Un simple coup suffit pour effectuer l’opération. Tendue autant qu’il était possible par le vaste poids qu’elle maintenait, la ride, frappée par Earing, ne fut pas plutôt coupée, que toutes les autres cédèrent successivement, laissant le mât supporter lui seul tout le poids et tout l’attirail de ses agrès. Le bois craqua ensuite, et alors les agrès tombant avec fracas, comme un arbre qu’on coupe à sa racine, franchirent la faible distance qui les séparait encore de la mer.

— Se relève-t-il ? cria aussitôt Wilder au marin qui tenait le gouvernail.

— Il a fait un léger mouvement, monsieur, mais cette nouvelle bourrasque le met de nouveau sur le côté.

— Faut-il couper ? demanda Earing du grand mât sur lequel il s’était précipité avec l’ardeur du tigre qui fond sur sa proie.

— Coupez, fut la réponse.

Un craquement terrible et imposant succéda bientôt à cet ordre, quoique seulement après plusieurs coups vigoureusement déchargés sur le mât lui-même. Bois, cordage, voiles, tout s’abîma de nouveau dans la mer, et le vaisseau se relevant au même instant se mit à rouler pesamment dans la direction du vent.

— Il se relève ! il se relève ! s’écrièrent vingt voix jusqu’alors muettes, suspendues entre la mort et la vie.

— Débarrassez-le ; que rien ne gêne ses mouvemens, ajouta la voix toujours calme, mais imposante du jeune capitaine. Soyez prêts à ferler le grand hunier. Laissez-le pendre un moment pour tirer le vaisseau de ce mauvais pas. — Coupez ! coupez ! du courage, mes amis ! — Couteaux, haches, coupez avec tout ! coupez tout !

Comme les marins travaillaient alors avec le courage que donne un espoir renaissant, les cordes qui attachaient encore au vaisseau les espars tombés furent coupées en un instant, et la Caroline semblait ne faire qu’effleurer l’écume qui couvrait la mer,