Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/255

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tre les passagers attentifs, quoique sur le ton de la confiance, et souvent même de la tendresse, était interrompue par de longs intervalles de silence et de réflexion. Chacun s’abstenait de faire la moindre allusion au danger qui les menaçait, pour ménager les sentimens des autres ; mais personne ne pouvait cacher le risque imminent qu’ils couraient à cette sollicitude jalouse de l’amour de la vie qui leur était commun à tous.

Ce fut ainsi que s’écoulèrent les minutes, les heures, et le jour tout entier, jusqu’à ce qu’on vît l’obscurité se glisser le long du vaste abîme, rétrécissant peu à peu l’horizon du côté de l’est, jusqu’à ce que leur vue se trouvât bornée à un cercle étroit et sombre autour de l’endroit où ils se trouvaient. À ce changement succéda une autre heure terrible pendant laquelle il semblait que la mort se disposât à les visiter, entourée de tout ce que ses horreurs ont de plus affreux. Le bruit que faisait la pesante baleine en étendant son corps énorme à la surface de la mer se fit entendre au loin ; il fut reproduit par une centaine de poissons qui venaient à la suite de la reine de l’océan. L’imagination inquiète de Gertrude se figura que la mer vomissait tous ses monstres, et, malgré le calme avec lequel Wilder lui assurait que ces sons habituels étaient plutôt un signal de paix et de tranquillité que les symptômes d’un nouveau danger, elle n’avait sans cesse sous les yeux que les profonds abîmes au-dessus desquels ils semblaient suspendus par un fil, et se les représentait remplis de leurs hideux habitans. Le jeune marin tressaillit lui-même en apercevant à la surface de l’eau les sombres nageoires du vorace requin, qui rôdait autour de la Caroline, comme averti par son instinct que tout ce que contenait ce malheureux vaisseau allait bientôt devenir la proie de son espèce. Alors se leva la lune, dont la clarté douce et trompeuse jeta ses illusions fantastiques sur cette scène variée, mais toujours terrible.

— Voyez, dit Wilder au moment où l’astre pâle et mélancolique sortit du sein de l’océan, nous aurons du moins ce flambeau pour diriger notre dangereux esquif.

— L’instant fatal approche-t-il, demanda Mrs Wyllys avec toute la fermeté dont elle était capable dans une situation aussi critique.

— Oui. Le vaisseau a déjà enfoncé ses dalots dans la mer ; quelquefois un bâtiment peut surnager jusqu’à ce qu’il soit entièrement couvert d’eau. Si le nôtre doit couler à fond, décidément ce sera bientôt.