Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/259

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dait que ses services y seraient bientôt nécessaires. L’événement ne trompa point sa prévoyance. Il ne fut pas long-temps sans voir flotter les voiles légères de sa chaloupe, et alors, lorsqu’il eut donné à la proue la direction convenable, le petit bâtiment commença à suivre lentement le long des eaux sa route incertaine.

Bientôt le vent, chargé de toute l’humidité de l’heure avancée de la nuit, devint plus frais et plus vif. Wilder insista sur cette circonstance, pour engager les dames à chercher le repos sous une petite tente goudronnée qu’il avait eu la prévoyance de transporter dans la chaloupe. S’apercevant que leur protecteur désirait être seul, Mrs Wyllys et sa pupille se rendirent à ses instances, et au bout de peu d’instant, si elles n’étaient point endormies, du moins personne n’aurait pu dire qu’aucun autre que notre aventurier était en possession de la chaloupe solitaire.

La nuit était déjà au milieu de son cours sans qu’il fût survenu aucun changement matériel dans la position de ceux dont le sort dépendait en si grande partie de l’influence variable de l’atmosphère. Le vent de plus en plus frais était devenu une brise piquante, et, d’après les calculs de Wilder, ils avaient déjà fait plusieurs lieues en avançant en ligne directe vers l’extrémité orientale de l’île longue et étroite qui sépare du grand océan les eaux qui baignent la côte du Connecticut. Les minutes s’écoulaient rapidement, car le temps était favorable, et les pensées du jeune marin étaient occupées des souvenirs d’une vie courte, mais pleine d’aventures. Par momens il se penchait en avant, comme pour prêter l’oreille à la douce respiration d’une personne qui dormait sous la tente grossière, et comme s’il eût pu distinguer le souffle léger que sa bouche entr’ouverte laissait échapper, de celui de ses compagnes. Puis alors il se laissait retomber à sa place, et ses lèvres tremblaient, comme si elles allaient s’ouvrir pour exprimer les idées confuses de son imagination. Mais jamais, même quand il s’abandonnait le plus à ses rêveries, il n’oubliait les devoirs essentiels du pilote. Un regard jeté rapidement, tantôt sur les cieux, tantôt sur la boussole, quelquefois avec plus d’attention sur les traits pâles et mélancoliques de la lune, telle était la direction habituelle que prenaient ses yeux exercés. Cet astre était alors au milieu de sa carrière, et le front de Wilder se rembrunit de nouveau quand il vit qu’il brillait à travers une atmosphère aride et dégagée de toutes vapeurs. Il aurait préféré le voir entouré même de ces cercles humides et sinistres qui l’environnent