Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune marin, qui plongé dans ses réflexions ne l’écoutait pas le moins du monde, que, s’il arrivait par son obstination quelque malheur à sa jeune maîtresse, le général Grayson serait fort en colère ; et elle lui laissait à penser ce que c’était que d’encourir le déplaisir du général Grayson. Le ressentiment d’un roi aux yeux de la simple fille n’était pas plus redoutable.

Outrée du peu de cas qu’il faisait de ses remontrances, la négresse oubliant tout son respect, dans l’aveuglement de sa tendresse pour celle que non seulement elle aimait, mais qui était pour elle une sorte d’idole, saisit le croc de la barque, y attacha, sans que Wilder le vît, une des toiles qui avaient été sauvées du naufrage, et la tint élevée pendant une ou deux minutes au-dessus de la voile raccourcie, sans que son expédient eût été remarqué d’aucun de ceux qui l’entouraient. Alors, il est vrai, à la vue du front sombre et menaçant de Wilder, elle s’empressa d’abaisser le signal. Mais quelque court qu’eût été le triomphe de la négresse, il n’en fut pas moins couronné d’un succès complet.

Ce silence de contrainte, qui succède si ordinairement à un premier mouvement d’humeur, régnait encore sur la chaloupe, quand un nuage de fumée partit des flancs du vaisseau, au moment où il s’élevait à l’extrémité d’une vague, et alors on entendit un coup de canon dont le vent contraire amortissait le bruit.

— Il est maintenant trop tard pour hésiter, dit Mrs Wyllys ; que le navire soit ami ou ennemi, nous sommes vus.

Wilder ne répondit rien, mais continua de saisir toutes les occasions d’épier les mouvemens du vaisseau. L’instant d’après on vit les espars s’écarter de la brise, puis la proue du navire changer de direction pour avancer de leur côté. Quatre ou cinq larges voiles étaient dépliées de différens côtés, et le vaisseau semblait s’incliner pour présenter la tête au vent. Par momens, quand il s’élevait sur une vague, la proue semblait sortir entièrement de l’eau, et elle faisait voler en l’air des monceaux d’écume, qui brillaient au soleil et retombaient en pluie de diamans sur les voiles et les agrès.

— Il est maintenant trop tard en effet, murmura notre aventurier en dirigeant le gouvernail de sa petite barque de manière à arriver sur le vaisseau, et en laissant plisser les écoutes entre ses mains, jusqu’à ce que la voile fût gonflée par le vent presque au point de crever. La chaloupe, qui avait fait jusqu’alors tant d’efforts pour résister au vent et rester aussi près que possible de