Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/295

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et les remontrances, étaient parvenus à arrêter l’explosion, de sorte que le temps s’était passé en préparatifs plutôt qu’en voies de fait. Mais les soldats de marine s’étaient armés, et déjà deux groupes de matelots s’étaient formés de chaque côté du grand mât, abondamment pourvus de piques et de toutes les autres armes qui s’étaient trouvées sous leurs mains. Deux ou trois d’entre eux étaient même allés jusqu’à préparer un canon, et à le braquer de manière à pouvoir balayer la moitié du tillac. En un mot, la querelle était arrivée au point où un coup de plus donné de part ou d’autre aurait été le signal d’un massacre et d’un pillage général. Ce qui rendait la catastrophe encore plus inévitable, c’étaient les railleries amères lancées à la fois de cinquante bouches profanes qui ne s’ouvraient que pour vomir les plus grossières injures contre leurs ennemis respectifs.

Pendant les cinq minutes qui avaient pu s’écouler au milieu de ces signes d’insubordination aussi menaçans que sinistres, l’homme le plus intéressé au maintien de la discipline avait paru, de la manière la plus bizarre, totalement indifférent, ou plutôt étranger à tout ce qui se passait si près de lui. Les bras croisés sur la poitrine, et les yeux attachés sur la mer tranquille, il était aussi immobile que le mât près duquel il s’était placé. Accoutumé depuis long-temps au bruit de scènes semblables à celle qu’il avait provoquée lui-même, les sons confus qui parvenaient à son oreille ne lui paraissaient que le résultat du tumulte ordinaire en pareille occasion.

Cependant les autres officiers se montraient plus actifs. Wilder avait déjà fait reculer les plus hardis des matelots, et les deux partis se trouvèrent alors séparés par un espace où les officiers subalternes se jetèrent avec l’empressement d’hommes qui sentaient que dans un pareil moment il fallait payer de sa personne. Ce succès momentané fut peut-être poussé trop loin ; car, s’imaginant que l’esprit de sédition était dompté, notre jeune aventurier venait de saisir le plus audacieux des coupables, quand son prisonnier lui fut tout à coup arraché des mains par vingt de ses complices.

— Quel est cet homme qui se donne les airs d’un commodore à bord du Dauphin ? cria une voix du milieu de la foule, dans un moment bien malheureux pour l’autorité du nouveau lieutenant. De quelle manière est-il venu à bord, et où a-t-il appris son métier ?