Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/312

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de manger du fruit de la science, de crainte que nous autres qui sommes dans les cabines nous ne mourions.

— C’est un service périlleux que celui dans lequel nous sommes embarqués, dit son compagnon en découvrant ainsi involontairement les secrètes pensées qui l’agitaient.

Le Corsaire garda le silence et fit plusieurs tours sur le pont avant de rouvrir les lèvres. Lorsqu’il parla ce fut d’une voix si douce et si agréable que ses paroles ressemblaient plutôt à celles d’un ami qui donne de sages conseils, qu’au langage d’un homme qui était depuis long-temps le compagnon d’êtres aussi grossiers et aussi dépravés que ceux avec lesquels il se trouvait.

— Vous êtes encore à l’entrée de la vie, monsieur Wilder, dit-il, et il dépend de vous de choisir le sentier que vous voulez suivre. Jusqu’à présent vous n’avez vu transgresser rien de ce que le monde appelle ses lois, et il n’est pas encore trop tard pour dire que vous ne le verrez jamais. Je puis avoir été égoïste dans le désir que j’avais de vous attirer à moi ; mais mettez-moi à l’épreuve et vous verrez que cet égoïsme, dont je ne puis toujours réprimer les premiers mouvemens, n’exerce du moins jamais un long empire sur mon âme. Dites seulement un mot, et vous êtes libre ; il est facile de détruire jusqu’au plus léger indice qui pourrait prouver que vous avez fait partie de mon bord. La terre n’est pas loin derrière ce rayon de lumière qui s’affaiblit de plus en plus à l’horizon ; demain, avant le coucher du soleil, vous pouvez y débarquer.

— Alors, pourquoi pas tous les deux ? Si cette vie irrégulière est un malheur pour moi, il en est de même pour vous. Si je pouvais espérer…

— Que voulez-vous dire ? demanda le Corsaire avec calme, après avoir attendu assez long-temps pour s’assurer que son compagnon hésitait à continuer. Expliquez-vous librement, c’est à un ami que vous parlez.

— Eh bien, c’est en ami, c’est à cœur ouvert que je vous parlerai. Vous dites que la terre est ici à l’ouest ; il nous serait facile, à nous deux qui avons été nourris sur l’océan, de mettre ce canot à la mer, et de profiter de l’obscurité pour nous éloigner. Long-temps avant qu’on pût s’apercevoir de notre absence, nous serions hors de la vue de ceux qui pourraient nous chercher.

— Et où iriez-vous ?