Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/319

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— Assurément ce vaisseau : avez-vous jamais servi sur un autre ?

— Jamais.

— Alors, c’est de ce vaisseau seul qu’on peut vous parler. L’équipage a-t-il souvent des prises à partager ?

— Oh ! très souvent ; ce n’est jamais là ce qui manque.

— Alors vous devez être tous attachés à votre navire et à votre capitaine. Le marin aime le vaisseau et le commandant qui lui font mener une vie active.

— Oui, madame ; nous menons ici une vie active. Et il y en a aussi parmi nous qui aiment bien le vaisseau et le commandant.

— Et avez-vous une mère, ou quelque amie, à qui vous fassiez passer vos petits profits ?

— Si j’ai…

Frappé du ton de stupeur avec lequel l’enfant répondait à ses questions, la gouvernante tourna rapidement la tête pour voir l’expression de sa physionomie. Il était debout devant elle dans une sorte d’étonnement stupide, la regardant entièrement en face, mais d’un œil beaucoup trop hagard pour qu’elle pût croire qu’il faisait attention à celle qui était devant lui.

— Parlez-moi, Roderick, continua-t-elle craignant d’éveiller ses soupçons en paraissant remarquer l’état où elle le voyait ; parlez-moi de la vie que vous menez. Vous la trouvez gaie ?

— Je la trouve triste.

— C’est étrange. Les jeunes mousses sont toujours les plus gais des hommes. Peut-être votre officier vous traite-t-il avec sévérité.

Roderick ne répondit pas.

— J’ai donc raison : votre capitaine est un tyran ?

— Vous vous trompez ; jamais il ne m’a dit une parole dure ou sévère…

— Ah ! c’est donc un homme doux : et bon ? Vous êtes bien heureux, Roderick.

— Moi… heureux, madame ?…

— Je m’exprime clairement, et en anglais… oui, heureux.

— Oh ! oui, nous sommes tous très heureux ici.

— C’est bien. Un vaisseau où règne le mécontentement n’est pas le paradis. Et vous entrez souvent dans des ports, Roderick, pour jouir des douceurs de la terre ferme ?

— Je m’inquiéterais peu de la terre, madame, si j’avais seulement sur ce vaisseau des amis qui m’aimassent.