Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/332

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à son tour, de manière à ce qu’on pût croire qu’elle payait aussi son tribut à l’influence de la musique. Enfin, comme poussé par une nouvelle impulsion, le Corsaire s’avança vers Gertrude, et, s’adressant à elle avec une courtoisie digne d’un lieu tout différent, il dit, dans le langage étudié qui caractérisait la politesse de cette époque :

— Une personne dont la voix est si harmonieuse ne doit pas avoir négligé les dons de la nature. Vous chantez ?

Quand Gertrude aurait eu le talent qu’il lui supposait, sa voix l’eût trahie dans ce moment. Elle répondit à son compliment par une légère inclination, et murmura des excuses qu’il était presque impossible d’entendre. Il l’écoutait attentivement, et, sans insister sur un point qui semblait ne pas être agréable à Gertrude, il se détourna et frappa légèrement sur le gong.

— Roderick, dit-il lorsque les pas du jeune garçon se firent entendre sur l’escalier qui conduisait dans la cabine, dormez-vous ?

— Non, répondit une voix douce et presque étouffée.

— Apollon n’était pas absent à la naissance de Roderick, madame. Ce jeune gaillard à une voix capable d’attendrir le cœur endurci d’un marin. Allons, placez-vous auprès de la porte de la cabine, bon Roderick, et dites à la musique d’accompagner doucement vos paroles.

Le jeune homme obéit et se plaça tellement dans l’ombre, qu’on pouvait à peine distinguer l’expression de ses traits. Les instrumens commencèrent alors une symphonie qui fut bientôt terminée, et ils avaient déjà répété l’air deux fois, qu’aucune voix ne se faisait encore entendre.

— Allons, Roderick, allons, nous ne sommes pas en état d’interpréter le sens de ces flûtes.

Après cet avertissement, l’enfant se mit à chanter d’une voix de contralto pleine et riche, mais qui ne pouvait se défendre d’une sorte de tremblement qui ne faisait évidemment point partie de l’air. Voici quelles étaient les paroles, autant du moins qu’on pouvait les entendre :


Une vaste et fertile plage
S’étendant au-delà des mers ;
La liberté, fière et sauvage,
Habitant seule ces déserts.

L’astre éclatant de la lumière,
Le soir, s’éloignant à pas lents,