Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/348

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le put dans son état, de veiller sur lui, jusqu’à ce qu’il fût capable de voguer tout seul.

— Et fut-ce là tout ?

— J’ai toujours pensé qu’elle pria ; car il se passa quelque chose entre elle et quelqu’un qui ne pouvait pas être vu, à en juger d’après la manière dont elle élevait ses yeux vers le ciel, et dont elle remuait ses lèvres. Je me flatte qu’entre autres elle dit un mot en faveur d’un certain Richard Fid ; car il est sûr qu’elle n’avait besoin de rien demander pour elle. Au reste, personne ne saura jamais ce qu’elle a dit, vu que sa bouche se ferma pour ne plus se rouvrir.

— Elle mourut !

— Hélas ! oui ; mais la pauvre dame était déjà mourante lorsqu’elle tomba dans nos mains, et nous n’avions que peu de secours à lui offrir. Une quarte d’eau, avec peut-être une pinte de vin, un biscuit et une poignée de riz, n’étaient pas grand-chose pour deux vigoureux gaillards qui avaient à faire soixante-dix lieues, dans un bateau, sous les tropiques. Quoi qu’il en soit, lorsque nous vîmes qu’il n’y avait plus rien à tirer du vaisseau, et que, depuis que l’air s’échappait par le trou que nous avions fait, il s’enfonçait de plus en plus, nous jugeâmes que le meilleur parti à prendre était d’en sortir, et assurément il était temps, car il alla au fond, juste au moment où nous mîmes le pied sur notre bateau.

— Et l’enfant ?… le pauvre enfant abandonné ?… s’écria la gouvernante, dont les yeux s’étaient remplis de larmes.

— C’est ce qui vous trompe, madame. Au lieu de l’abandonner nous l’emmenâmes avec nous, ainsi que la seule autre créature vivante qui restait sur le vaisseau naufragé ; mais nous avions encore un long voyage à faire, et, ce qu’il y a de pis, nous étions hors de la route des bâtimens marchands. Par ainsi, nous nous assemblâmes en conseil : le nègre et moi, car l’enfant était trop faible pour parler, et d’ailleurs qu’aurait-il eu à dire dans la situation où nous nous trouvions ? Ainsi je commençai moi-même : — Guinée, que je lui dis, il faut que nous mangions ou ce chien-là, ou cet enfant-ci. Si nous mangeons l’enfant, nous ne vaudrons pas mieux que les hommes de ton pays, qui, vous le savez, madame, sont des cannibales ; au lieu que si nous mangeons le chien, tout maigre qu’il est, nous pourrons nous soutenir le corps et l’âme, et donner à l’enfant les autres choses. Alors Guinée répon-