un peu des formes d’usage, il fit signe à son lieutenant, avec un sourire gracieux, d’imiter leur exemple.
— Les ouvriers de sa majesté ont lancé sur l’océan de plus mauvais vaisseaux que le Dard, Wilder, dit-il avec un coup d’œil expressif, comme pour l’avertir que l’intelligence de celui-ci devait suppléer à ce que ses paroles n’exprimeraient pas suffisamment ; mais ses ministres auraient pu choisir un meilleur observateur pour lui en donner le commandement.
— Le capitaine Bignall a la réputation d’un brave et honnête homme.
— Oui, et il faut qu’il la mérite ; car, ôtez-lui ces deux qualités, et ce qui lui restera est peu de chose. Il me donne à entendre qu’il est envoyé spécialement dans ces parages, en quête d’un navire dont nous avons tous entendu parler, soit en bien, soit en mal, — je veux dire le Corsaire Rouge !
Celui qui parlait ainsi vit, sans aucun doute, Mrs Wyllys tressaillir involontairement, et Gertrude saisir avec une émotion soudaine le bras de sa gouvernante ; mais ses manières ne firent nullement connaître qu’il s’en fût aperçu. Son empire sur lui-même fut admirablement imité par son compagnon, qui répondit avec un calme que le soupçon n’aurait pu croire emprunté :
— Sa croisière sera hasardeuse, pour ne pas dire sans succès.
— Elle pourra être l’un et l’autre ; et cependant il a grand espoir de réussir.
— Il partage peut-être l’erreur commune sur le caractère de l’homme qu’il cherche.
— En quoi se trompe-t-il ?
— En supposant qu’il trouvera un pirate ordinaire, grossier, rapace, ignorant, inexorable, comme les autres…
— Quels autres, monsieur ?
— J’allais dire les autres individus de sa classe ; mais un marin comme celui dont nous parlons est à la tête de sa profession.
— Nous lui donnerons donc le nom sous lequel il est connu, monsieur Wilder, — celui de Corsaire. Mais, répondez-moi, n’est-il pas remarquable qu’un capitaine si âgé, si expérimenté, vienne croiser dans cette mer, presque déserte, pour chercher un navire que son métier doit conduire dans des parages plus fréquentés ?
— Il peut l’avoir aperçu à travers les passages étroits qui sé-