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Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/15

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journée. Ainsi entrèrent dans l’âme du poète, dès ses premières années, les deux convictions qu’il conserva toute sa vie ; il puisa dans la vue sublime des montagnes l’amour de la liberté, et dans les sinistres légendes de son foyer l’horreur de la Révolution.

Dès lors, dans cette libre poussée au milieu d’un beau paysage, son esprit reçut aussi, je le crois, le germe de ce sentiment de la nature qu’il devait répandre, si intense et si grandiose, dans tous ses poèmes. Je veux me reporter par l’imagination, comme il l’a fait si souvent par le souvenir, au temps de sa rustique enfance. La famille, une familière cadets, déjà médiocrement pourvue avant 89, est absolument ruinée ; elle ne possède plus guère que la vieille maison, débris d’une demeure seigneuriale, avec sa tourelle d’angle et son mur où les saxifrages détruisent, en les fleurissant, quelques vestiges d’anciens ornements sculptés. Le père, médecin comme l’aïeul, est loin d’être encore devenu le professeur de clinique qui fera plus tard de savants élèves à l’École de médecine de Lyon ; à l’heure qu’il est, il ressemble beaucoup au bon docteur de Pernette. C’est un praticien de province, qui va dès le matin visiter ses malades, au trot d’une jument paysanne. La mère et l’aïeule consacrent les longues heures de la journée aux soins du logis, mais surtout au nouveau-né. Quand le ciel sourit, elles l’emportent dans la campagne, qui est tout proche, au bout de quelque ruelle solitaire. On fait halte bientôt, sur la lisière d’un bois, devant un large horizon. Là, l’enfant se roule dans l’herbe, essaye ses premiers pas sous les chênes, tourne vaguement ses regards du côté des cimes lointaines. On ne revient qu’au coucher du soleil,