Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/257

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365Ce traître vit encore, il me voit, il respire,
Il m’affronte, il l’avoue, il rit quand je soupire.

ALIDOR.

Vraiment le ciel a tort de ne vous pas donner
Lorsque vous tempêtez, sa foudre à gouverner[1] ;
Il devroit avec vous être d’intelligence.

(Angélique déchire la lettre et en jette les morceaux,
et Alidor continue[2].)

370Le digne et grand objet d’une haute vengeance !
Vous traitez du papier avec trop de rigueur.

ANGÉLIQUE.

Que n’en puis-je autant faire à ton perfide cœur[3] !

ALIDOR.

Qui ne vous flatte point puissamment vous irrite.
Pour dire franchement votre peu de mérite,
375Commet-on des forfaits si grands et si nouveaux[4]
Qu’on doive tout à l’heure être mis en morceaux ?
Si ce crime autrement ne sauroit se remettre,

(Il lui présente aux yeux un miroir qu’elle porte à sa ceinture[5].)

Cassez : ceci vous dit encor pis que ma lettre.

ANGÉLIQUE.

S’il me dit mes défauts autant ou plus que toi,
380Déloyal, pour le moins il n’en dit rien qu’à moi :
C’est dedans son cristal que je les étudie ;

  1. Var. Lorsque vous tempêtez, son foudre à gouverner. (1637-68)
  2. Les mots : et Alidor continue, manquent dans les éditions de 1637-60.
  3. Var. Je voudrois en pouvoir faire autant de ton cœur. (1637-57)
  4. Var. Commet-on envers vous des forfaits si nouveaux
    Qu’incontinent on doive être mis en morceaux ? (1637-57)
  5. Var. Qu’elle porte pendu à sa ceinture. (1637-57) — Ces miroirs à la ceinture étaient au dix-septième siècle d’un usage général. Dans la fable de la Fontaine intitulée l’Homme et son image (ivre I, fable xi), on trouve à ce sujet une curieuse énumération :

    Afin de le guérir, le sort officieux
    Présentoit partout à ses yeux
    Les conseillers muets dont se servent nos dames :
    Miroirs aux poches des galants,
    Miroirs aux ceintures des femmes.