Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/285

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Que lui fais-je, après tout, qu’elle n’ait mérité,
Pour avoir malgré moi fait ma captivité ?
905Qu’on ne m’accuse point d’aucune ingratitude :
Ce n’est que me venger d’un an de servitude,
Que rompre son dessein, comme elle a fait le mien,
Qu’user de mon pouvoir, comme elle a fait du sien,
Et ne lui pas laisser un si grand avantage
910De suivre son humeur, et forcer mon courage.
Le forcer ! mais, hélas ! que mon consentement
Par un si doux effort fut surpris aisément !
Quel excès de plaisirs goûta mon imprudence
Avant que réfléchir sur cette violence[1] !
915Examinant mon feu, qu’est-ce que je ne perds ?
Et qu’il m’est cher vendu de connaître mes fers !
Je soupçonne déjà mon dessein d’injustice,
Et je doute s’il est ou raison ou caprice.
Je crains un pire mal après ma guérison,
920Et d’aller au supplice en rompant ma prison.
Alidor, tu consens qu’un autre la possède !
Tu t’exposes sans crainte à des maux sans remède[2] !
Ne romps point les effets de son intention,
Et laisse un libre cours à ton affection :
925Fais ce beau coup pour toi ; suis l’ardeur qui te presse.
Mais trahir ton ami ! mais trahir ta maîtresse[3] !

  1. Var. Avant que s’aviser de cette violence ! (1637-57)
  2. Var. Peux-tu bien l’exposer à des maux sans remède,
    À de vains repentirs, d’inutiles regrets,
    De stériles remords et des bourreaux secrets,
    Cependant qu’un ami, par tes lâches menées,
    Cueillira les faveurs qu’elle t’a destinées ?
    Ne frustre point l’effet de ton intention (a). (1637-57)
    (a) Ce dernier vers ne se trouve que dans l’édition de 1637. Dans les impressions de 1644-57, on lit, comme dans notre texte :
    Ne romps point les effets de son intention.
  3. Var. [Mais trahir ton ami ! mais trahir ta maîtresse !]
    Jamais fut-il mortel si malheureux que toi ?