Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/107

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deux scènes. Les pensées de la première des deux sont quelquefois trop spirituelles pour partir de personnes fort affligées ; mais outre que je n’ai fait que la paraphraser de l’espagnol[1], si nous ne nous permettions quelque chose de plus ingénieux que le cours ordinaire de la passion, nos poëmes ramperoient souvent, et les grandes douleurs ne mettroient dans la bouche de nos acteurs que des exclamations et des hélas. Pour ne déguiser rien, cette offre que fait Rodrigue de son épée à Chimène, et cette protestation de se laisser tuer par don Sanche, ne me plairoient pas maintenant. Ces beautés étoient de mise en ce temps-là, et ne le seroient plus en celui-ci. La première est dans l’original espagnol, et l’autre est tirée sur ce modèle. Toutes les deux ont fait leur effet en ma faveur ; mais je ferois scrupule d en étaler de pareilles à l’avenir sur notre théâtre.

J’ai dit ailleurs ma pensée touchant l’Infante et le Roi[2] ; il reste néanmoins quelque chose à examiner sur la manière dont ce dernier agit, qui ne paroît pas assez vigoureuse, en ce qu’il ne fait pas arrêter le Comte après le soufflet donné, et n’envoie pas des gardes à don Diègue et à son fils. Sur quoi on peut considérer que don Fernand étant le premier roi de Castille, et ceux qui en avoient été maîtres auparavant lui n’ayant eu titre que de comtes, il n’étoit peut-être pas assez absolu sur les grands seigneurs de son royaume pour le pouvoir faire.

  1. Voyez las Mocedades del Cid, au premier tiers de la seconde journée ; la pièce n’est pas divisée eu scènes distinguées par des chiffres.
  2. Corneille a remarqué dans le Discours du Poëme dramatique (tome I, p. 48) que l’amour de l’Infante est un épisode détaché, et dans l’Examen de Clitandre (tome I, p. 272), que don Fernand agit seulement en qualité de juge et que ce roi « remplit assez mal la dignité d’un si grand titre. » Il revient encore sur ces deux personnages dans l’Examen d’Horace.