Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/118

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Il vous commandera de répondre à sa flamme.

Chimène.

Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois
Ce qui te fait juger qu’il approuve mon choix :
Apprends-moi de nouveau quel espoir j’en dois prendre ;
Un si charmant discours ne se peut trop entendre ;
Tu ne peux trop promettre aux feux de notre amour
La douce liberté de se montrer au jour.
Que t’a-t-il répondu sur la secrète brigue
Que font auprès de toi don Sanche et don Rodrigue ?
N’as-tu point trop fait voir quelle inégalité
Entre ces deux amants me penche d’un côté ?

Elvire.

Non ; j’ai peint votre cœur dans une indifférence
Qui n’enfle d’aucun d’eux ni détruit l’espérance[1],
Et sans les voir d’un œil trop sévère ou trop doux,
Attend l’ordre d’un père à choisir un époux.
Ce respect l’a ravi, sa bouche et son visage
M’en ont donné sur l’heure un digne témoignage[2],
Et puisqu’il vous en faut encor faire un récit,
Voici d’eux et de vous ce qu’en hâte il m’a dit :
« Elle est dans le devoir ; tous deux sont dignes d’elle,
Tous deux formés d’un sang noble, vaillant, fidèle,
Jeunes, mais qui font lire aisément dans leurs yeux


    Le beau feu qu’en leurs cœurs ses beautés ont fait naître.
    Ce n’est pas que Chimène écoute leurs soupirs,
    Ou d’un regard propice anime leurs désirs :
    Au contraire, pour tous dedans l’indifférence,
    Elle n’ôte à pas un ni donne d’espérance,
    Et sans les voir d’un œil trop sévère ou trop doux,
    C’est de votre seul choix qu’elle attend un époux.
    le comte. [Elle est dans le devoir ; tous deux sont dignes d’elle (a’).]

    (1637-56)


    (a’) On voit que, dans ses premières éditions, Corneille faisait dire au Comte lui-même ce qu’à partir de 1660 Elvire rapporte comme un discours du Comte.

  1. Var. Qui n’enfle de pas un ni détruit l’espérance,
    ---Et sans rien voir d’un œil trop sévère ou trop doux. (1660)
  2. Var. M’en ont donné tous deux un soudain témoignage. (1660)