Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/120

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Il alloit au conseil, dont l’heure qui pressoit[1]
A tranché ce discours qu’à peine il commençoit ;
Mais à ce peu de mots je crois que sa pensée
Entre vos deux amants n’est pas fort balancée.
Le Roi doit à son fils élire un gouverneur,
Et c’est lui que regarde un tel degré d’honneur :
Ce choix n’est pas douteux, et sa rare vaillance
Ne peut souffrir qu’on craigne aucune concurrence.
Comme ses hauts exploits le rendent sans égal,
Dans un espoir si juste il sera sans rival ;
Et puisque don Rodrigue a résolu son père
Au sortir du conseil à proposer l’affaire,
Je vous laisse à juger s’il prendra bien son temps,
Et si tous vos désirs seront bientôt contents.

Chimène.

Il semble toutefois que mon âme troublée
Refuse cette joie, et s’en trouve accablée :
Un moment donne au sort des visages divers,
Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.

Elvire.

Vous verrez cette crainte heureusement déçue[2].

Chimène.

Allons, quoi qu’il en soit, en attendre l’issue.

    chim. Eh bien ! Elvire, enfin que faut-il que j’espère ?
    Que dois-je devenir, et que t’a dit mon père ?
    elv. Deux mots dont tous vos sens doivent être charmés :
    [Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez.]
    chim. L’excès de ce bonheur me met en défiance :
    Puis-je à de tels discours donner quelque croyance ?
    elv. Il passe bien plus outre, il approuve ses feux,
    Et vous doit commander de répondre à ses vœux.
    Jugez après cela, puisque tantôt son père
    Au sortir du conseil doit proposer l’affaire,
    S’il pouvoit avoir lieu de mieux prendre son temps,
    [Et si tous vos désirs seront bientôt contents.] (1637-56)

  1. Var. Il alloit au conseil, dont l’heure qu’il pressoit. (1660)
  2. Var. Vous verrez votre crainte heureusement déçue. (1637-56)