Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/195

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Celui qui n’a pas craint les Mores, ni mon père,
Va combattre don Sanche, et déjà désespère !
Ainsi donc au besoin ton courage s’abat !

Don Rodrigue.

Je cours à mon supplice, et non pas au combat ;
Et ma fidèle ardeur sait bien m’ôter l’envie,
Quand vous cherchez ma mort, de défendre ma vie.
QuJ’ai toujours même cœur ; mais je n’ai point de bras
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas ;
Et déjà cette nuit m’auroit été mortelle,
Si j’eusse combattu pour ma seule querelle ;
Mais défendant mon roi, son peuple et mon pays[1],
À me défendre mal je les aurois trahis.
Mon esprit généreux ne hait pas tant la vie,
Qu’il en veuille sortir par une perfidie.
Maintenant qu’il s’agit de mon seul intérêt,
Vous demandez ma mort, j’en accepte l’arrêt.
Votre ressentiment choisit la main d’un autre
(Je ne méritois pas de mourir de la vôtre) :
On ne me verra point en repousser les coups ;
Je dois plus de respect à qui combat pour vous ;
Et ravi de penser que c’est de vous qu’ils viennent,
Puisque c’est votre honneur que ses armes soutiennent,
Je vais lui présenter mon estomac ouvert[2],
Adorant en sa main la vôtre qui me perd.

Chimène.

Si d’un triste devoir la juste violence,
Qui me fait malgré moi poursuivre ta vaillance,
Prescrit à ton amour une si forte loi
Qu’il te rend sans défense à qui combat pour moi,
En cet aveuglement ne perds pas la mémoire

  1. Var. Mais défendant mon roi, son peuple et le pays. (1637-56)
  2. Var. Je lui vais présenter mon estomac ouvert. (1637-56)