Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/307

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Que le foible parti prenne loi du plus fort[1] ;
Mais sans indignité pour des guerriers si braves,
Qu’ils deviennent sujets sans devenir esclaves,
Sans honte, sans tribut, et sans autre rigueur
Que de suivre en tous lieux les drapeaux du vainqueur.
Ainsi nos deux États ne feront qu’un empire. »
Il semble qu’à ces mots notre discorde expire[2] :
Chacun, jetant les yeux dans un rang ennemi,
Reconnoît un beau-frère, un cousin, un ami ;
Ils s’étonnent comment leurs mains, de sang avides,
Voloient, sans y penser, à tant de parricides,
Et font paroître un front couvert tout à la fois
D’horreur pour la bataille, et d’ardeur pour ce choix.
Enfin l’offre s’accepte, et la paix désirée
Sous ces conditions est aussitôt jurée :
Trois combattront pour tous ; mais pour les mieux choisir,
Nos chefs ont voulu prendre un peu plus de loisir :
Le vôtre est au sénat, le nôtre dans sa tente.

CAMILLE.

Ô Dieux, que ce discours rend mon âme contente !

CURIACE.

Dans deux heures au plus, par un commun accord,
Le sort de nos guerriers réglera notre sort.
Cependant tout est libre, attendant qu’on les nomme :
Rome est dans notre camp, et notre camp dans Rome ;
D’un et d’autre côté l’accès étant permis,
Chacun va renouer avec ses vieux amis.
Pour moi, ma passion m’a fait suivre vos frères ;
Et mes désirs ont eu des succès si prospères,
Que l’auteur de vos jours m’a promis à demain
Le bonheur sans pareil de vous donner la main.
Vous ne deviendrez pas rebelle à sa puissance ?

  1. Var. Que le parti plus foible obéisse au plus fort. (1641-56)
  2. Var. À ces mots il se tait : d’aise chacun soupire. (1641-64)