Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il s’est fait admirer tant qu’ont duré ses frères ;
Mais comme il s’est vu seul contre trois adversaires,
Près d’être enfermé d’eux, sa fuite l’a sauvé.

LE VIEIL HORACE.

Et nos soldats trahis ne l’ont point achevé[1] ?
Dans leurs rangs à ce lâche ils ont donné retraite ?

JULIE.

Je n’ai rien voulu voir après cette défaite.

CAMILLE.

Ô mes frères !

LE VIEIL HORACE.

Ô mes frères !Tout beau, ne les pleurez pas tous ;
Deux jouissent d’un sort dont leur père est jaloux.
Que des plus nobles fleurs leur tombe soit couverte ;
La gloire de leur mort m’a payé de leur perte :
Ce bonheur a suivi leur courage invaincu,
Qu’ils ont vu Rome libre autant qu’ils ont vécu,
Et ne l’auront point vue obéir qu’à son prince,
Ni d’un État voisin devenir la province.
Pleurez l’autre, pleurez l’irréparable affront
Que sa fuite honteuse imprime à notre front ;
Pleurez le déshonneur de toute notre race,
Et l’opprobre éternel qu’il laisse au nom d’Horace.

JULIE.

Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ?

LE VIEIL HORACE.

Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ?Qu’il mourût[2],

  1. Var. Et nos soldats trahis ne l’ont pas achevé ? (1641-60)
  2. « Voilà ce fameux qu’il mourût, ce trait du plus grand sublime, ce mot auquel il n’en est aucun de comparable dans toute l’antiquité (a) ; tout l’auditoire fut si transporté, qu’on n’entendit jamais le vers faible qui suit ; et le morceau :

    ----N’eût-il que d’un moment retardé (lisez : reculé) sa défaite,

    étant plein de chaleur, augmente encore la force du qu’il mourût… » (Voltaire.)

    (a) Cela est vrai, et c’est en vain, nous le croyons, qu’on a cherché un mot semblable dans les auteurs anciens. Le moriamur, de Calpurnius (voyez Tite