Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/350

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HORACE.

Que dis-tu, malheureuse ?

CAMILLE.

Que dis-tu, malheureuse ?Ô mon cher Curiace !

HORACE.

Ô d’une indigne sœur insupportable audace[1] !
D’un ennemi public dont je reviens vainqueur
Le nom est dans ta bouche et l’amour dans ton cœur !
Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire !
Ta bouche la demande, et ton cœur la respire !
Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs,
Ne me fais plus rougir d’entendre tes soupirs ;
Tes flammes désormais doivent être étouffées ;
Bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées :
Qu’ils soient dorénavant ton unique entretien.

CAMILLE.

Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien ;
Et si tu veux enfin que je t’ouvre mon âme,
Rends-moi mon Curiace, ou laisse agir ma flamme :
Ma joie et mes douleurs dépendoient de son sort ;
Je l’adorois vivant, et je le pleure mort.
JeNe cherche plus ta sœur où tu l’avois laissée ;
Tu ne revois en moi qu’une amante offensée,
Qui comme une furie attachée à tes pas,
Te veut incessamment reprocher son trépas.
Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes[2],
Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes,
Et que jusques au ciel élevant tes exploits,
Moi-même je le tue une seconde fois !
Puissent tant de malheurs accompagner ta vie[3],
Que tu tombes au point de me porter envie ;

  1. Var. Ô d’une indigne sœur l’insupportable audace ! (1641-60)
  2. Var. Tigre affamé de sang, qui me défends les larmes. (1641-48 et 55 A.)
  3. Var. Puissent de tels malheurs accompagner ta vie. (1641-56)