Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/364

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Et punissez en moi ce noble criminel ;
De mon sang malheureux expiez tout son crime ;
Vous ne changerez point pour cela de victime :
Ce n’en sera point prendre une injuste pitié,
Mais en sacrifier la plus chère moitié.
Les nœuds de l’hyménée et son amour extrême
Font qu’il vit plus en moi qu’il ne vit en lui-même ;
Et si vous m’accordez de mourir aujourd’hui,
Il mourra plus en moi qu’il ne mourroit en lui ;
La mort que je demande, et qu’il faut que j’obtienne,
Augmentera sa peine, et finira la mienne.
Sire, voyez l’excès de mes tristes ennuis,
Et l’effroyable état où mes jours sont réduits.
Quelle horreur d’embrasser un homme dont l’épée
De toute ma famille a la trame coupée !
Et quelle impiété de haïr un époux
Pour avoir bien servi les siens, l’État et vous !
Aimer un bras souillé du sang de tous mes frères !
N’aimer pas un mari qui finit nos misères !
Sire, délivrez-moi par un heureux trépas
Des crimes de l’aimer et de ne l’aimer pas ;
J’en nommerai l’arrêt une faveur bien grande.
Ma main peut me donner ce que je vous demande ;
Mais ce trépas enfin me sera bien plus doux,
Si je puis de sa honte affranchir mon époux ;
Si je puis par mon sang apaiser la colère
Des Dieux qu’a pu fâcher sa vertu trop sévère,
Satisfaire en mourant aux mânes de sa sœur,
Et conserver à Rome un si bon défenseur.

LE VIEIL HORACE, au Roi[1].

Sire, c’est donc à moi de répondre à Valère.

  1. Ce jeu de scène et les suivants, jusqu’à la fin de la pièce, manquent dans les éditions de 1641-48 et dans celle de 1655 A.