Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/374

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ment les avait fait mettre en liberté, et par suite la révolte, se croyant ainsi autorisée et se trouvant avoir un point d’appui, s’était étendue dans toute la province. On avait couru sus aux commis, démoli leurs maisons, et pendu même ceux qu’on avait pu trouver. Un chef mystérieux, que personne n’avait vu, mais que tout le monde nommait et chantait, conduisait cette jacquerie normande. C’était Jean-va-nu-pieds, descendant direct du Jacques Bonhomme des temps féodaux, et comme lui personnification terrible de la misère furieuse[1].

« Richelieu veillait. Le danger, qui eût été grand partout, l’était là plus qu’ailleurs, à cause du voisinage de l’Anglais toujours prompt à profiter de nos troubles, et en raison aussi de certain désir mal déguisé que les pays normands avaient toujours eu de se donner à un duc[2].

« Il fallait donc un remède énergique et sûr. Le Cardinal n’était pas homme à le faire attendre ni à l’employer mollement, une fois qu’il l’aurait trouvé. Comme la première cause de cette révolte venait d’une rébellion du parlement de Rouen, il voulut que cette magistrature insubordonnée fût punie par la main d’un magistrat. Le chancelier Seguier fut chargé de ses ordres. Il partit avec une armée, et quelques jours après, Rouen était occupé militairement.

« Le parlement, qui prévoyait ce qu’il devait attendre de la colère d’un homme comme Richelieu, lui avait en hâte envoyé deux de ses principaux magistrats pour supplier et demander pardon. Ils ne purent rien obtenir. Rouen fut traité comme une ville prise d’assaut. On la frappa d’une taxe d’un million quatre-vingt-cinq mille livres ; son conseil municipal fut dissous ; le parlement, la cour des aides, le lieutenant général du bailliage furent interdits. Ce n’est pas tout. Il fallait du sang dans toutes les rigueurs qu’ordonnait Richelieu. Un grand nombre d’ha-

  1. M. Rathery, Des anciennes institutions judiciaires de la Normandie, dans la Revue française du mois de mars 1839, p. 269. — Voyez aussi l’Introduction du Diaire, ou Journal du chancelier Seguier en Normandie après la sédition des nu-pieds, et documents relatifs à ce voyage et à la sédition, publiés pour la première fois par A. Floquet. Rouen, 1842, in-8o.
  2. Tallemant des Réaux, tome II, p. 47.