Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/376

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La tragédie eut donc un grand succès ; mais l’éloquente et indirecte supplique qui, suivant l’hypothèse que nous avons adoptée, s’y trouvait contenue, fut loin d’en avoir autant. Aucun des Rouennais proscrits ne fut rappelé, et les rigueurs ordonnées suivirent leur cours. Le destin de cette pièce, comme de presque tous les chefs-d’œuvre dramatiques, fut de causer une vive impression, mais sans changer les cœurs, sans fléchir les volontés. D’après une anecdote fort douteuse, Louis XIV, après avoir constamment refusé la grâce du chevalier de Rohan, aurait été si ému en assistant à une représentation de Cinna la veille du jour où le chevalier de Rohan devait être exécuté, que si on lui avait alors parlé de nouveau en faveur du condamné, il n’eût pu, aurait-il dit lui-même, s’empêcher d’accorder en ce moment la grâce qu’il avait jusqu’alors constamment refusée[1]. Quoi qu’il en soit de cette émotion attribuée à Louis XIV, il est certain que l’exemple d’Auguste ne tenta pas un instant Richelieu.

Suivant les frères Parfait[2], Cinna aurait été joué pour la première fois vers la fin de 1639. Mais cette pièce succéda à Horace qui, le 9 mars 1640, ainsi que nous l’avons vu plus haut[3], venait à peine d’être joué ; la première représentation de Cinna est donc sans contredit postérieure à cette date.

L’auteur d’une Lettre sur la vie et les ouvrages de Molière et sur les comédiens de son temps, publiée au mois de mai 1740[4], s’exprime ainsi en parlant de Pierre Mercier, dit Bellerose : « On croit que c’est lui qui a joué d’original le rôle de Cinna dans la tragédie de ce nom ; » et ce qui est avancé ici d’une manière dubitative est établi par un témoignage formel de Chapuzeau, qui dit dans son Théâtre françois[5] : « Comme les talents sont divers, l’un n’est propre que pour le sérieux, l’autre que pour le comique ; et Jodelet auroit aussi mal réussi dans le rôle de Cinna, que Bellerose dans celui de don Japhet d’Arménie[6]. »

  1. Anecdotes dramatiques, p. 103.
  2. Histoire du Théâtre français, tome V, p. 93,
  3. Voyez la Notice d’Horace, p. 249 et 250.
  4. Mercure de France, p. 847.
  5. Page 123.
  6. Pièce de Scarron, représentée en 1653.