Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/391

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


EXAMEN.


Ce poème a tant d’illustres suffrages[1] qui lui donnent le premier rang parmi les miens, que je me ferois trop d’importants ennemis si j’en disois du mal : je ne le suis pas assez de moi-même pour chercher des défauts où ils n’en ont point voulu voir, et accuser le jugement qu’ils en ont fait, pour obscurcir la gloire qu’ils m’en ont donnée. Cette approbation si forte et si générale vient sans doute de ce que la vraisemblance s’y trouve si heureusement conservée aux endroits où la vérité lui manque, qu’il n’a jamais besoin de recourir au nécessaire[2]. Rien n’y contredit l’histoire, bien que beaucoup de choses y soient ajoutées ; rien n’y est violenté par les incommodités de la représentation, ni par l’unité de jour, ni par celle de lieu.

Il est vrai qu’il s’y rencontre une duplicité de lieu particulier[3]. La moitié de la pièce se passe chez Émilie, et l’autre dans le cabinet d’Auguste. J’aurois été ridicule si j’avois prétendu que cet empereur délibérât avec Maxime et Cinna s’il quitteroit l’empire ou non, précisément dans la même place où ce dernier vient de rendre compte à Émilie de la conspiration qu’il a formée contre lui. C’est

  1. Corneille revient dans le Discours des trois unités (tome I, p. 105) sur ces « illustres suffrages » accordés à Cinna.
  2. Voyez le commencement du Discours du poëme dramatique, tome I, p. 14 et suivantes ; et le Discours de la tragédie, p. 81 et suivantes.
  3. Ici Corneille répond à une question directe que lui avait posée d’Aubignac : « Je ne puis approuver que dans la salle d’un palais, où apparemment il y a toujours des gens qui vont et qui viennent, on fasse une longue narration d’aventures secrètes et qui ne pourroient être découvertes sans grand péril ; d’où vient que je n’ai jamais pu bien concevoir comment Monsieur Corneille peut faire qu’en un même lieu Cinna conte à Émilie tout l’ordre et toutes les cir-