Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/414

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Cette grandeur sans borne et cet illustre rang[1],
Qui m’a jadis coûté tant de peine et de sang, 360
Enfin tout ce qu’adore en ma haute fortune
D’un courtisan flatteur la présence importune,
N’est que de ces beautés dont l’éclat éblouit,
Et qu’on cesse d’aimer sitôt qu’on en jouit.
L’ambition déplaît quand elle est assouvie, 365
D’une contraire ardeur son ardeur est suivie ;
Et comme notre esprit, jusqu’au dernier soupir,
Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,
Il se ramène en soi, n’ayant plus où se prendre,
Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre[2].370
J’ai souhaité l’empire, et j’y suis parvenu ;
Mais, en le souhaitant, je ne l’ai pas connu :
Dans sa possession, j’ai trouvé pour tous charmes
D’effroyables soucis, d’éternelles alarmes,
Mille ennemis secrets, la mort à tous propos, 375
Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos.
Sylla m’a précédé dans ce pouvoir suprême ;
Le grand César mon père en a joui de même :
D’un œil si différent tous deux l’ont regardé[3],

    flatteurs. En effet, il n’y a rien dans le commencement de cette scène qui empêche que ces vers ne puissent être joués ainsi. Auguste n’a point encore parlé avec bonté, avec amitié, à Cinna et à Maxime ; il ne leur a encore parlé que de son pouvoir absolu sur la terre et sur l’onde. » (Voltaire.)

  1. Var. Cette grandeur sans borne et ce superbe rang. (1643-56)
  2. « Remarquez bien cette expression, disait Racine à son fils. On dit aspirer à monter ; mais il faut connoître le cœur humain aussi bien que Corneille l’a connu pour pouvoir dire de l’ambitieux qu’il aspire à descendre. » — Chaulmer écrivait en 1638, dans sa Mort de Pompée (acte I, scène i), ces vers qui, bien qu’ils contiennent une idée fort différente, ont une grande analogie d’expression avec ceux de notre poète :
    Gardons la liberté de la chose publique,
    Déjà presque soumise au pouvoir tyrannique
    D’un enfant sans respect, ou d’un tigre plutôt
    Qui sortant de son antre, ose aspirer si haut ;
    Qu’il sache en se perdant que qui veut y prétendre,
    Plus il cherche à monter, plus il trouve à descendre.
  3. Var. Sylla s’en est démis, mon père l’a gardé,
    Différents en leur fin comme en leur procédé :
    L’un, cruel et barbare, est mort aimé, tranquille. (1643-56)