Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/429

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Mon ardeur inconnue, avant que d’éclater[1],
Par quelque grand exploit la vouloit mériter :
Cependant par mes mains je vois qu’il me l’enlève ; 725
Son dessein fait ma perte, et c’est moi qui l’achève ;
J’avance des succès dont j’attends le trépas,
Et pour m’assassiner je lui prête mon bras.
Que l’amitié me plonge en un malheur extrême !

EUPHORBE.

L’issue en est aisée : agissez pour vous-même ; 730
D’un dessein qui vous perd rompez le coup fatal ;
Gagnez une maîtresse, accusant un rival.
Auguste, à qui par là vous sauverez la vie,
Ne vous pourra jamais refuser Émilie.

MAXIME.

Quoi ? trahir mon ami !

EUPHORBE.

Quoi ? trahir mon ami ! L’amour rend tout permis ; 735
Un véritable amant ne connoît point d’amis,
Et même avec justice on peut trahir un traître
Qui pour une maîtresse ose trahir son maître :
Oubliez l’amitié, comme lui les bienfaits.

MAXIME.

C’est un exemple à fuir que celui des forfaits[2].740

EUPHORBE.

Contre un si noir dessein tout devient légitime :
On n’est point criminel quand on punit un crime.

MAXIME.

Un crime par qui Rome obtient sa liberté !

EUPHORBE.

Craignez tout d’un esprit si plein de lâcheté.
L’intérêt du pays n’est point ce qui l’engage ; 745

  1. Var. Mon amour inconnue, avant que d’éclater. (1643-56)
  2. Var. Un exemple à faillir n’autorise jamais.
    euph. Sa faute contre lui vous rend tout légitime. (1643-56)