Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/56

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Messieurs de l’Académie françoise, sur le iugement qu’ils ont fait du Cid et de ses Obseruations[1].

La lettre de Balzac est charmante. Espérant l’attirer dans son parti, Scudéry lui avait adressé ce qu’il avait écrit contre le Cid ; mais Balzac, tout en approuvant les principes qui avaient guidé son jeune ami, atténue ses critiques par de si nombreuses et de si importantes restrictions, que Scudéry dut se trouver assez mal satisfait d’avoir provoqué un semblable jugement.

« Considérez néanmoins, Monsieur, que toute la France entre en cause avec lui, et que peut-être il n’y a pas un des juges dont vous êtes convenus ensemble[2] qui n’ait loué ce que vous désirez qu’il condamne : de sorte que, quand vos arguments seroient invincibles et que votre adversaire y acquiesceroit, il auroit toujours de quoi se consoler glorieusement de la perte de son procès, et vous dire que c’est quelque chose de plus d’avoir satisfait tout un royaume que d’avoir fait une pièce régulière. Il n’y a point d’architecte d’Italie qui ne trouve des défauts en la structure de Fontainebleau et qui ne l’appelle un monstre de pierre : ce monstre néanmoins est la belle demeure des rois, et la cour y loge commodément.

« Il y a des beautés parfaites qui sont effacées par d’autres qui ont plus d’agrément et moins de perfection ; et parce que l’acquis n’est pas si noble que le naturel, ni le travail des hommes que les dons du ciel, on vous pourroit encore dire que savoir l’art de plaire ne vaut pas tant que savoir plaire sans art. Aristote blâme la Fleur d’Agathon, quoiqu’il die qu’elle

  1. À Paris, chez Anthoine de Sommaville. Au Palais, dans la petite Sale, à l’Escu de France. M.CD.XXXVIII (sic, 1638), in-8o de 34 pages. Ce recueil a paru dès le commencement de l’année ou même, malgré son millésime, à la fin de 1637. Chapelain écrit le 25 janvier 1638 à Balzac, en lui parlant de sa lettre sur le Cid : « On l’a imprimée en papier volant, avec la mauvaise réponse de… (Scudéry) et le remercîment du même à l’Académie. » (Histoire de la vie et des ouvrages de Corneille, par M. J. Taschereau, 2e édition, p. 312.)
  2. Une édition, publiée à part, de la Lettre de Monsieur de Balzac à Monsieur de Scudéry, touchant ses Obseruations sur le Cid (in-8° de 8 pages), offre ici une variante ; on y lit : « des juges devant qui vous l’avez appelé. » — Au sujet du passage auquel s’applique cette variante, voyez plus loin, p. 47 et 48.