Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/59

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qu’elle est juste. À l’avenir j’espère qu’elle se revanchera de votre équité, et qu’aux occasions où il lui sera permis d’être obligeante, vous n’aurez rien à désirer d’elle et reconnoîtrez qu’elle sait estimer votre mérite et votre vertu. De moi je ne vous dis rien pour ce que je crois vous dire tout en vous assurant que je suis, Monsieur, votre, etc. De Paris, ce 19 décembre 1637[1]. »

En somme les Sentiments de l’Académie sur le Cid, si impatiemment attendus, n’eurent aucun des résultats qu’on en espérait : ils ne satisfirent entièrement ni la jalousie de Richelieu, ni la basse envie de Scudéry ; ils ne diminuèrent en rien le légitime orgueil de Corneille, ni l’admiration générale, et Boileau put résumer plus tard la discussion par ces excellents vers :

En vain contre le Cid un ministre se ligue :
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue,
L’Académie en corps a beau le censurer :
Le public révolté s’obstine à l’admirer[2].

Lorsque cette grande querelle littéraire fut calmée, Corneille, après avoir pardonné à ceux qui s’étaient déclarés contre lui, conserva néanmoins le désir de constater en toute occasion qu’il n’avait pas accepté de plein gré le jugement de l’Académie. En 1640, ayant appris que Balzac préparait un recueil de ses lettres, il s’efforça de lui faire supprimer le passage que contient sur ce point celle que nous avons citée.

« Corneille m’est venu voir, écrit Chapelain à Balzac le 17 novembre 1640, et m’a demandé en grâce que j’obtinsse de vous d’ôter dans votre lettre à Scudéry ces termes : les juges dont vous êtes convenus, pour ce qu’il nie d’être jamais convenu de notre compétence sur l’affaire du Cid. Cependant vous ne lui pouvez complaire en cela sans choquer Scudéry, qui en

  1. Cette lettre a été ainsi reproduite, d’après le recueil manuscrit de lettres de Chapelain appartenant à M. Sainte-Beuve, dans l’Histoire de la vie et des ouvrages de P. Corneille, par M. J. Taschereau, 2e édition (p. 308 et 309, note 17). Pellisson l’avait donnée, mais en abrégé et sous forme indirecte, dans sa Relation contenant l’histoire de l’Académie françoise, p. 205 et 206.
  2. Satire IX, vers 231-234.