Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/81

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beau corps plein de plaies, un bel enchantement, la dupe des sots, une beauté fardée, etc. Vous pouvez juger à toutes ces marques si le galant homme vous connoissoit parfaitement.

Il n’y a qu’un point qui me pourroit laisser quelque difficulté : c’est qu’il vous fait plus riche que Claveret. Quoique vous soyez de loin, on sait fort bien que la fortune ne vous a pas avantagé plus que lui, et que les présents qu’elle vous a faits à votre naissance, ne sont pas si grands qu’on ne les puisse cacher dans le creux d’un violon. Aussi vous n’êtes point en peine de faire des caravanes de Besançon à Paris : vos affaires ne vous rappellent point à votre pays, et vous gouvernez aisément par procureur le bien que vous y avez laissé.

Pour confirmer ces vérités, je n’aurois qu’à nommer le maître que vous voulûtes servir, lorsque après avoir importuné quatre jours les comédiens pour votre Chriséide, ils vous jetèrent un écu d’or afin de se défaire de vous ; mais je m’en veux taire pour l’honneur des vers. Passons à votre lettre.

Vous êtes toujours sur les comparaisons, et après avoir proposé ce ridicule parallèle de la Silvie et du Cid, vous ajoutez que quelque éclat qu’elle ait eu quatre ans durant, vous ne l’avez point appelée votre chef-d’œuvre ni votre ouvrage immortel : vous avez bien fait pis. Son succès vous enfla tellement, que vous eûtes l’effronterie de prendre la chaire et de mettre un art poétique au devant de votre Silvanire[1]. Jeune homme, il faut apprendre avant que d’enseigner, et à moins que d’être un Scaliger ou un Heinsius, cela n’est pas supportable. Il est vrai que vous en faites maintenant réparation au public en avouant que toute cette belle doctrine n’est qu’ignorance, puisque vous reconnoissez des défauts aux poëmes que vous avez produits après ; vous promettez toutefois de les justifier : accordez-vous avec vous-même, beau poëte, et soutenez-les sans tache, ou n’en entreprenez pas la justification. Mais donnons un coup d’œil à ce bel art poétique.

Dès le commencement vous vous échappez et faites une définition du poëte à votre mode. « Le poète, dites-vous, est proprement celui qui doué d’une fureur divine, explique en

  1. La Silvanire est précédée d’une Preface en forme de discours poetique, à Monsieur le comte de Carmail.